Dans tous les métiers il y a toute sorte de gens, ceux qui font juste ce qu’il faut, d’autres qui appliquent des recettes, d’autres encore qui vivent ce qu’ils font. C’est le cas de Chambaron.
Commençons par dire qu’il se définit lui-même comme un incorrigible correcteur, mangeant langues vivantes et étymons antiques à tous les repas. Dans une vie antérieure il a travaillé dans l’énergie, notamment en Suisse. J’ajoute que s’il a un bac scientifique, il a étudié le grec et le latin. La littérature lui est tombée dessus en étudiant… la gestion. Ah, les voies du destin…
Je l’ai rencontré via la plateforme Question-orthographe.fr, issue du Projet Voltaire lancé par les deux frères Hostachy, que je remercie une nouvelle fois. Pierre, ah, oui, j’ai oublié de vous dire que sous le nom de plume Chambaron il y a Pierre Buffiere de Lair. La graphie du nom est correcte, pas de è ni d’apostrophe.

Correcteur – complice – cornac. C’est lui qui m’a appris le mot cornac (guide), c’est aussi un trait de sa personnalité : la délicatesse. Il est devenu le complice de toutes mes révisions de texte qui comprennent tant la mathématique, l’histoire de la Grèce ancienne, la science-fiction, la musique, le Moyen Âge, l’histoire de la France, la typographie, l’horlogerie, ainsi que des livres sur la langue française. Il trouve toujours une explication. C’est fabuleux.
Chambaron l’écrivain. Il est un fervent des nouvelles et c’est un genre où il excelle. Celles qu’il publie, la plupart primées lors de concours, sont des nids de trésors tant par les mots que par les idées. Lors d’un échange de messages, je lui avais écrit : J’ai connu des gens qui connaissaient les règles sur le bout des doigts mais qui n’avaient aucun talent pour l’écriture, vous vous avez les deux et en plus de l’imagination. C’est vrai, Pierre sort du chemin battu. Voici quelques commentaires et extraits tirés du recueil Ni vent ni nouvelle. Dans ce titre assez inattendu, on retrouve l’expression de jadis « je n’ai eu ni vent ni nouvelles de Untel ». Le titre est fait pour intriguer tout en affichant le mot nouvelle. C’est bien le genre de jeu de mots que Pierre aime.
Métamorphose sabbatique. C’est la première nouvelle du recueil et la phrase qui saute à mes yeux est en lien avec le spectacle sur les mots que je prépare. En effet, je monte un spectacle sur la métamorphose des mots. Sacrée coïncidence ou alors c’est cet ami appelé hasard qui me rend visite. L’histoire de la nouvelle se situe à Prague et il est question de Kafka et de situations étranges. Voici le texte : Les mots se suivaient, comme autant de pavés dans une rue de Prague, chacun ne se joignant au précédent que par le lien syntaxique habituel qui unit des noms à des verbes, puis des verbes à d’autres noms qui s’accouplent eux-mêmes à des adjectifs. Et tout le petit peuple obscur d’articles, de conjonctions, de prépositions qui grouillaient entre les mots, s’affairait à lier, articuler, à coordonner les princes de la fête pour en faire phrases, chapitres et un livre… On comprend bien comment naît une phrase, un texte.
Pierre réussit à rendre vivants des pavés et donne une vie à des mots ; les pavés sont des mots et les mots sont des pavés. Je suis comblée !
Et voici encore la séance de rasage du héros de la nouvelle. Se raser n’est pas pour l’homme une opération anodine : c’est souvent la seule vraie confrontation avec son propre regard dans une journée, et l’on se confie oculairement tant de choses pendant que la lame vous redonne l’air imberbe du premier matin du monde. Je trouve le monologue avec le miroir et le premier matin du monde un délice. J’ai déjà vu des hommes se raser et senti qu’il se passait quelque chose, mais Chambaron y met les mots.
Autre qualité de Pierre-Chambaron : s’il respecte les règles, s’il connaît l’étymologie des mots, s’il connaît l’histoire ou l’évolution de ces derniers, il connaît en plus la typographie. C’est un grand atout. Que vient faire la typographie ici ? C’est quand même la mise en pages des textes, comment et quand utiliser des guillemets, ou l’italique, quand mettre une majuscule à un titre, au nom d’un institut. Par exemple, lorsqu’on écrit une lettre on écrira : Cher monsieur ou Chère madame. Je sais, on voit très régulièrement, et ce de la part de toutes classes sociales confondues, une majuscule au nom, mais ce dernier n’est pas un titre, c’est une civilité. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’écrire Cher Élève, mais c’est une habitude qui s’est prise et lorsque j’ai suivi des cours de sténo-dactylo, c’était la règle. Cela me met dans de drôles de situations parce que si j’écris à la représentante de ma gérance Chère madame, elle va se dire que je lui manque de respect… De plus, Pierre réfléchit et relève bien des contradictions qui me rendent service.
Le mot orthographe. Je ne peux pas ne pas parler de ce mot qui est si mal utilisé. C’est Pierre qui a attiré mon attention sur le sujet et voici le lien pour l’article que je lui ai consacré, mais en bref : le mot orthographe veut dire j’écris correctement, celui qui sait écrire, tout comme le géographe est celui qui connaît la Terre, le savant de la planète. Il est plus pertinent alors d’utiliser le mot graphie qui veut dire représentation d’un mot ou d’un son par l’écriture. Pierre a fait des émules grâce au compte qu’il a sur Twitter !
Prenons une autre part de dessert dans le recueil de Pierre-Chambaron intitulé Ni vent ni nouvelle. On le trouve dans Correspondance des quatre saisons. Une dame et un monsieur, qui vit dans un endroit isolé, échangent des messages. Le monsieur écrit : Heureusement, vous êtes là. Je reçois vos billets par Partounet, c’est amusant. Celui du 1er novembre m’a vraiment fait sourire : des photos de Vous, entourée de vos chats, avec la Pastorale en fond musical et cet entêtant parfum de cannelle, c’était vraiment… stupéfiant. Vous l’avez compris, Partounet est une version postérieure à Internet puisqu’on peut même s’envoyer des parfums. C’est délicieux !
La même inventivité, le même plaisir, je les retrouve lorsque Pierre m’envoie des éclaircissements sur tel ou tel point relatif à la langue. Le français a des caprices ou des logiques ou des exceptions (heureusement que le dictionnaire est plein de subtilités pour m’aider à mettre un mot sur mes interrogations) que je ne connais pas et Pierre me sort des mauvais pas.
Des exemples ? C’est un peu compliqué parce que je ne voudrais mettre qui que ce soit mal à l’aise. Quelqu’un pourrait se reconnaître et personne n’est exempt de commettre une erreur. Parfois on écrit trop vite, parfois on tape à côté, parfois on se fait avoir parce qu’on lit ou entend. Les journaux, tout ce qui touche aux médias, les déclarations des personnalités, les films, les livres… tout contient des abus et des coquilles aujourd’hui. Ah, voici un exemple des explications de Pierre avec le mot aujourd’hui. Autrefois, pour parler du jour, on utilisait le mot hui (du latin hodie). Au Moyen Âge, on a ajouté jour, pourtant issu du même mot, pour différencier la période en journée de celle de la nuit ; cela a donné aujourd’hui qui crée déjà un pléonasme. Si en plus, on ajoute au jour d’aujourd’hui il y a double redondance. Si par exemple, dans le monde de la mode, certains disent la mode au jour d’aujourd’hui désirant mettre en exergue l’époque, on pourrait leur donner raison, mais il vaut mieux être précis et utiliser d’autres mots ou expressions (actuellement, de notre époque, à ce jour, de nos jours, de notre temps, etc.).
Richesse d’esprit et désir d’aider. Je monte un spectacle basé sur deux livres de Jean-Loup Chiflet et cherche à compléter des noms de personnages, des histoires, me pose des questions et Pierre est là avec son imagination. À un moment donné, je lui demande quelque chose, il répond et signe « Al Fabey ». J’ai mis du temps à déchiffrer « Alphabet » ; d’autres fois, il a signé « Inspecteur Gétouluz ». Et on arrive à l’un des sujets traités dans ce spectacle : les homonymes, les homographes, les mots qui ont plusieurs graphies, bref d’un tas de plaisirs pour certains et de tourments pour d’autres ! Je le disais, Pierre n’est pas seulement quelqu’un qui remarque des contradictions, qui regrette certaines mesures prises ou au contraire oubliées, il apporte sa pierre à l’édifice. C’est ainsi que j’ai pu compléter les catégories de mots qui prêtent à confusion et su qu’il avait dans sa base de données 1’200 groupes d’homonymes ; cela doit représenter quelque 5’000 mots (2 ou 3 mots par groupe, avec un record à 6) !
Que dire en conclusion sinon que j’ai beaucoup de chance d’avoir rencontré pareil personnage et que les éditeurs devraient s’arracher un tel réviseur (tout comme moi, il n’aime pas le mot correcteur. Si je mets parfois, c’est pour être compréhensible par des non-initiés) !
Juin 2025. Un texte de Chambaron remporte le deuxième prix dans un concours littéraire ! Il s’agit de Transhumance, un poème en prose sur le thème imposé du Rhône, fleuve nourricier et destructeur. Une évocation qui a pris un relief surprenant quelques jours avant la catastrophe de Blatten (village valaisan)…
Juillet 2025. Je le dis, Chambaron est le cornac qui me comble ! Voici un exemple : (à suivre)

Liens :
- Spectacle lecture-théâtre ;
- Jean-Loup Chiflet – Clément Drouin – Pierre Buffiere de Lair et Zully ou un pas de quatre.
- Rencontre particulière (numéro hors-série) : André Oppel et la culture.
- Révision de textes en français ;
- Rencontre 15 : Le Figaro.
- Rencontre 13 : Serge Alzérat et « Sous les jupons de l’Histoire.
Si vous désirez laisser un commentaire, deux façons de procéder :
- directement par courriel (voir contact sur ma page d’accueil) ;
- si vous avez une plateforme WordPress, vous pouvez facilement l’insérer au bas de cette page.