J’aime raconter des choses nourrissantes, celles qui m’arrivent et celles qui arrivent aux autres. Celui qui les lit ou les entend en tire profit, j’en suis convaincue.
Voici l’histoire qui est arrivée à l’un de mes amis. J’étais chez Cighélio l’imprimeur et un monsieur me demande si je le reconnais. Je cherche dans ma tête et tout à coup il dit : « On a fait du bateau ensemble ! ». Mon Dieu ! Cela fait des années que je n’avais vu François. Je lui dis que je me suis demandé plusieurs fois ce qu’il était devenu. Comme je dois partir et qu’il a des choses à faire, on convient d’un rendez-vous pour le lendemain. C’est là qu’il me raconte une histoire qui finit bien et cele m’a fait tellement de bien que je me dois de la transcrire :
– Je suis devenu professeur d’école, j’ai fondé une famille, ma femme a divorcé…
– C’est toi ou c’est elle ?
– C’est elle.
– Elle travaillait à mi-temps et je faisais la cuisine, les courses, et elle était quand même débordée. Comme elle était amie avec la responsable du département de l’enseignement, cette dernière m’a mis à la porte de l’école. À cette époque il y avait pléthore de professeurs et je n’ai trouvé de place que dans le canton de Vaud, puis cela a été à Fribourg, en Gruyère. Dans le premier cas, les élèves étaient en retard d’une année par rapport à ceux de Neuchâtel et dans le second, ils avaient une année d’avance parce que c’était des fils de paysans, des bosseurs. Je me rappelle le cas d’une fille qui trouvait que paysan était le pire métier du monde et que son village était le dernier des endroits où l’on pouvait habiter. Son père m’a demandé d’aller discuter avec elle.
– Quand je suis arrivé, la maison est comme celles d’avant où l’on entrait par la cuisine. C’est la grand-maman qui m’a reçu et m’a dit que le fils était à l’étable et qu’il fallait l’attendre. Je lui ai demandé où c’était et elle a répondu que bien habillé comme je l’étais, je ferais mieux d’attendre. Je lui ai répondu que dans un étable il y avait des vaches et qu’il le savait. La dame n’arrivait pas à le croire, mais finalement m’a montré comment m’y rendre.
– Arrivé sur place, le papa de mon élève trayait les vaches. Je lui ai demandé si je pouvais l’aider. Là aussi, il a été surpris. Je l’ai rassuré en lui disant que les vaches c’était comme le vélo : « On n’oublie pas ». Il m’a montré une vache qui ne voulait pas être traite par une machine, on s’est bien entendus et j’ai fait ma part. Quand on a fini et qu’on est rentrés dans la cuisine, tout le monde était au courant. J’ai vu mon élève et lui ai dit : « Ton père fait un métier formidable, il nourrit le monde ! » J’ai vu que dans l’esprit de la fillette la chose prenait forme et depuis, j’ai été le meilleur professeur que la terre ait porté !
Il se passe encore des choses, mais ce qui est important est qu’arrivé à la retraite, mon ami reçoit plus d’argent que lorsqu’il travaillait. C’est un cas assez rare et je lui dis que finalement, il pourrait remercier sa femme d’avoir été ainsi parce que c’est grâce à elle qu’il se trouve dans cette situation si confortable !
***********
Histoire dans un quai de gare. Je vais rendre visite à une ancienne maraîchère qui se trouve à l’hôpital et je dois changer de train dans une gare que je ne connais pas. Je descends du train, vois un couple qui fait de même et demande s’ils changent aussi de voie. Le monsieur répond :
- Nous chantons toujours de la même voix !
Ce jeu de mots si ingénieux m’a fait rire et j’ai dit que j’allais mentionner l’affaire sur ma plateforme. C’est vraiment joli !
***********
Une autre histoire dans un home. Mme X, une de mes bonnes connaissances, avait une amie dans un home ou Éhpad. Cette personne avait une certaine culture et depuis quelques années donnait des cours d’anglais à l’étranger, à raison de deux jours tous les quinze jours. Tout à coup, elle a eu une attaque cérébrale et n’a plus pu se déplacer. Elle est restée un temps chez elle et finalement, son mari a dû se résoudre à l’installer dans un établissement spécialisé. Mais, elle pouvait parler et a demandé à Mme X de lui apporter du champagne. En principe, elle n’a pas le droit d’en boire, mais une coupe de champagne, en plein milieu de l’après-midi, n’a jamais fait de tort à personne. Je le sais aussi parce que j’ai eu une aventure semblable avec un ami. Bref, Mme X se dit que le champagne tout seul ce n’est pas élégant et achète à la Migros, notre supermarché, une boîte de flûtes de chaque sorte afin de savoir laquelle fond dans la bouche. La dame en question avait des difficultés à avaler.
Mme X arrive au home vers 14 h 30. Elle demande à voir son amie et on lui dit qu’elle ne peut sortir parce qu’elle n’est pas encore lavée. Mon amie se fâche, dit que ce n’est pas permis, l’endroit coûte Fr. 7’000.- par mois et à l’heure qu’il est la dame n’est pas encore baignée ! Elle se fâche tout rouge et fait en sorte qu’on s’occupe de la dame. Finalement, elles s’installent dans un coin, boivent leur champagne, et tout se passe à merveille.
Une autre fois, la même dame avait envie de boire un thé de je ne sais quelle sorte. Mme X s’exécute et va au home avec une autre amie qui rendait visite à une autre personne installée au même endroit. Comme elle connaissait aussi la dame qui voulait boire du thé, elle se joint pour le goûter et apporte des flûtes. La dame de l’histoire en prend et s’étouffe. Malheureusement, la dame qui a acheté les flûtes n’a plus pensé à prendre la sorte qui fondait dans la bouche. L’infirmière arrive, se fâche et dit que la prochaine fois, elles seront fouillées avant d’entrer. Mon amie se fâche à son tour parce que ce n’est pas sa faute.
– Et ensuite ? demandé-je.
– Elle est décédée quelques jours après.
– De quoi ?
– Étouffée.
– À la suite de quoi ?
– C’est assez étrange. Il semble qu’elle ait…
L’histoire est triste. Les établissements pour personnes dépendantes ne sont pas toujours idoines. La personne qui y arrive, y va souvent en dépit de sa volonté, elle est immergée dans un environnement qui n’est pas le sien, tout ce qui lui appartenait est absent. Sa vie doit s’intégrer à un horaire et à des personnes étrangers. Une de mes amies, qui arrive à un âge certain et qui a des problèmes de santé, me dit qu’elle va partir dans un pays africain où les gens sont plus aimables et joyeux avec les résidents. Mais, je félicite mon amie d’avoir apporté du plaisir au palais et à l’âme de son amie dans les derniers jours de sa vie. Je trouve cela important et beau.
************
La retraite : je rencontre une connaissance sur mon chemin. On marche un moment sans rien dire. Puis, je demande :
- Comment va la vie ?
- Elle prend son temps et répond : J’ai une nouvelle vie. Je suis à la retraite, mais n’aime pas ce mot.
- Vous avez tout à fait raison. Auparavant, les personnes arrivaient à la retraite et ils étaient épuisés pour la plupart ; ils portaient leur âge et de plus, l’espérance de vie était moindre. Aujourd’hui, les gens peuvent couper les ponts avec leur ancienne activité, se lancer dans une autre, changer de vie, continuer autrement leur manière de vivre et tout cela dans une joie et un bon état physique.
- C’est vrai. Mais les gens, quand ils savent que vous êtes à la retraite…
- Il n’y a pas besoin de le dire. Il y a des gens qui, lorsqu’ils l’apprennent, vous mettent dans une catégorie pleine de sens très lourds. Cela vous charge et les charge eux-mêmes. Cela ne vaut pas la peine. De toutes façons, les gens n’écoutent pas réellement ce que vous dites, ils ramènent souvent les choses à eux. Alors, dites simplement que vous vous investissez un peu plus dans… que vous avez repris telle activité, etc.
- Qu’est-ce que cela me fait du bien. C’est comme si vous m’offriez une fleur.
- Oh, mais la fleur était chez vous. Je vous l’ai simplement montrée.
- Quel cadeau ! Je me sens toute légère ; j’ai comme des ailes qui poussent !
- Moi aussi !
Liens vers :