On le sait, le commerce de détail est celui qui est le plus proche de ses clients et par lequel bien des histoires arrivent. On le sait également, j’aime les commerces neuchâtelois qui se transmettent d’une génération à l’autre. C’est le cas de la famille Bourquin.
L’affaire ou l’histoire qui se greffe à la Papeterie Bourquin est celle des reprises du commerce sur terre une fois le propriétaire au ciel. On a eu à Neuchâtel quelques commerces repris par leurs descendants et l’exercice est une réussite. La Papeterie Bourquin est dans la lignée sauf que la situation conjoncturelle est compliquée.
Neuchâtel est ma ville et ma ville se compose de son lac, mon lac, de ses bâtiments, de ses commerces et de ses habitants. Les commerces font partie du paysage. Avant, la plupart de ces commerces étaient tenus par des Neuchâtelois, des gens du terroir. J’ai cru ces commerces immuables. Mais, non, tout change… cela me déstabilise quelque peu. J’ai l’impression qu’une partie de mon moi s’en va.
Mon paysage commercial. Les commerces tenus par des Neuchâtelois sont donc devenus rares : la Boucherie Margot, deuxième génération, la Boulangerie Maeder, deuxième génération, la Droguerie Schneitter, troisième génération qui prépare la quatrième, et la papeterie Bourquin qui est reprise par Nathalie, troisième génération. Sur son enseigne est écrit « Papetier Bourquin », c’est si joli. En fait en un mot il dit que chez Bourquin, on fait le commerce du papier et, par extension, des articles de bureau (Académie française).
La papeterie Bourquin, je me rappelle lorsqu’elle était à la place de la Poste. Arrivée à Neuchâtel, j’ai cru qu’elle avait toujours été là. Puis, en 1996, elle a déménagé à la rue du Seyon, pour s’installer à la place d’un magasin pour vélos. Dans ce cas, elle n’est plus là, mais elle est encore là ! Bon, on sait qu’on trouve aussi dans les grandes surfaces des articles de papeterie mais ils sont de plus en plus normalisés, comme si tout le monde pensait et agissait de la même façon ! Les conseils avisés, les articles particuliers, élégants, pratiques, on ne les trouve que dans les commerces de proximité. Tout dernièrement, en réparant des cartables, je suis allée dans mes réserves chercher une bande collante qui… datait. Je suis allée chez Bourquin, comme on dit à Neuchâtel, et, Nathalie a trouvé ce qu’il me fallait.
Monsieur Jean-Marcel Bourquin, le propriétaire. Il a fait partie de mon environnement commercial et de penser qu’il a quitté ce monde le 29 mai 2021 me fait quelque chose. J’aimais bien rencontrer cette figure, pas toujours expressive, mais calme et polie. Il aurait pu être anglais, tellement il était réservé. Tout comme monsieur Schneitter, il avait toujours la solution qui vous rendait service. C’est ainsi que les livres de ma bibliothèque ont belle allure grâce à des serre-livres qu’il commandait pour moi ; c’est grâce à lui que j’ai les 600 fils de mon atelier de couture dans des sachets Minigrip ; c’est grâce à lui que j’ai des stylos feutres dont la pointe mesure 0,3 mm ; c’est grâce à l’une de ses vendeuses que j’ai acheté une réserve de bande collante pas trop collante pour faire tenir les photos que j’expose dans mon studio de danse ; c’est encore grâce à une autre vendeuse que j’ai un ruban adhésif qui me permet de tenir mes tableaux avec les photos des maquillages contre une surface sans l’abîmer, et ainsi de suite.
Le registre du commerce. Lorsque le propriétaire d’un commerce part au ciel ou lorsqu’il cesse son activité pour une autre raison, l’entreprise est déclarée en liquidation. Lorsqu’il y a succession, l’avis est différent et le commerce entre en succession. Dans le cas du Papetier Bourquin, le notaire s’est trompé et le registre du commerce a mis l’entreprise sous la rubrique « liquidation ». Que dire, tout le monde peut se tromper, mais là… L’annonce est parue dans les journaux et bien des gens ont compris que la papeterie fermait ses portes. Quand Nathalie s’en est rendu compte, cela lui a pris une année et demie pour rectifier le tir. Et encore. Les gens sont aussi très légers. Ils ne vont même pas constater. Nathalie s’est vue dans l’obligation de mettre une annonce devant sa porte expliquant qu’il y avait succession, que cela prenait du temps, mais que l’activité continuait, que la papeterie continuait de vivre ! Même le journal local, Arcinfo, n’a pu aider à rectifier le tir. Il y aurait eu un article s’il y avait effectivement eu fermeture mais pas dans le cas d’une succession (il y a 1’000 commerces dans le canton et le journal ne peut tout traiter).
Pierre Dubois. Je m’intéresse à l’histoire de la papeterie : arriver à une troisième génération dans un commerce c’est quelque chose ! Je me dis que dans le sang des Bourquin il doit y avoir un gène « papeterie ». La personne qui connaît Neuchâtel et son histoire comme sa poche est Pierre Dubois, l’ancien conseiller d’État. Je lui téléphone pour lui demander s’il se rappelle la papeterie.

Quelle mémoire ! J’admire. Maintenant, je me souviens aussi du magasin de fleurs.
2025. Je demande à Nathalie si la succession est terminée. – Hélas non ! dit-elle. Il se trouve que la succession de mon grand-père n’avait pas été réglée et il faut d’abord liquider celle-là avant celle de mon père. Un ami avocat m’explique que lorsqu’un patron d’une boîte quitte ce monde, il y a des impôts à régler avec la ville et le canton, mais que la succession dans la famille peut durer des générations ! C’est le cas qui se présente : une vraie pointe d’iceberg !
Le commerce au centre-ville. Je découvre en Nathalie non seulement une digne héritière de monsieur Bourquin (elle connaît ses produits, leur histoire, ses fournisseurs et sa clientèle), mais aussi quelqu’un qui s’intéresse à son environnement local, tant aux clients qu’au commerce en général. Comme bien d’autres commerçants, elle subit les effets des décisions politiques qui vident les villes de voitures et de places de parc. Le paysage commercial change. Si on songe que Migros s’est défait des activités telles que Mi-Casa, Hôtel Plan, Sport X, Bike-World, Mi-Belle et M-Électronics (Ex-Libris et Bestsmile avaient déjà quitté été larguées), pour se concentrer sur le secteur alimentaire, bancaire et de la santé, cela en dit long. De plus, depuis la covid, les gens achètent de plus en plus en ligne. S’il n’y avait qu’un seul élément qui perturbait le paysage commercial, mais, comme vous le voyez, il y en a tout un paquet.
Fin 2024, des commerçants (combien ?) ont envoyé une pétition à la Ville . Ils ont mentionné les problèmes cités avant la votation sur la suppression des places de parc. Il n’y a qu’à se promener en ville pour voir combien de commerces ont fermé et vont le faire avant la fin de l’année. Ce sujet dépassant le cas particulier sera commenté dans un article séparé.
Quand je pense que je n’aime écrire que des belles choses. Cela me rend triste. Alors, je reprends mon entretien avec Nathalie. Ainsi que je le disais plus haut, dans la papeterie de Nathalie, on trouve tous les articles liés au bureau. Pour en savoir plus, il faudrait aller faire un tour sur sa plateforme. Je lui demande de me parler des articles qu’elle vend :
- dans ma papeterie, je vends des articles qu’on ne trouve pas ailleurs !
- les stylos et crayons Caran d’Ache ! dit-elle. Cela tombe bien ; j’aime l’histoire de cette fabrique et c’est l’occasion d’en savoir un peu plus. La Fabrique genevoise de crayons Écridor, fondée en 1915 a été rachetée en 1924 par le Saint-Gallois Arnold Schweizer dont la femme avait passé sa jeunesse en Russie. Elle lui a suggéré d’appeler sa fabrique Caran d’Ache. Pourquoi ? La fabrique produisait des crayons et en russe crayon se dit Карандаш (carandache). Or, il se trouve qu’au début du siècle, en 1909, était décédé un dessinateur humoristique français appelé Emmanuel Poiré né à Moscou mais petit-fils d’un officier de Napoléon. Il avait émigré en France, récupéré sa nationalité et entre autres a été dessinateur au Figaro (j’ai une histoire d’amour avec ce journal). Le nom de plume d’Emmanuel Poiré était Caran d’Ache ; comme vous le voyez un jeu de mots et idéal pour la marque helvétique de crayons ! Précisons encore que le mot russe est issu du turc où kara-tash signifie pierre noire pour dire graphite.
- mais, reprenons les articles Caran d’Ache. Ce sont des articles de qualité connus dans le monde entier. Actuellement c’est la quatrième génération qui tient les rênes. Nathalie me dit que la fabrique a encore un service après vente (SAP). Si un stylo a un problème, le SAP trouve les pièces et répare. Ce service tend à disparaître de plus en plus. Nathalie est aussi attachée à cette maison parce qu’elle a eu des crayons de cette marque étant petite. Les crayons sont faits à la main, il y a 35 étapes pour la fabrication et 50 heures de travail pour chacun. Aussi, lorsqu’elle a su que la gamme 541 allait être supprimée, elle s’est battue pour avoir le reste du stock. Cette marque, tout comme les fabriques horlogères le font avec des montres, produisent des stylos en or et en argent en éditions limitées ;
- des pinceaux produits par Schminke et Da Vinci ;
- il est possible d’acheter des fourres au détail ;
- j’étais la seule à vendre une certaine marque de cahiers ; quand je l’a vue dans d’autres commerces, j’ai changé l’offre ;
- toute sorte de produits pour le bricolage : encres, sacs, boîtes.
- services proposés :
- photocopie, plastification, reliure, (je ne sais où mettre le « carton photo »)
- la haute écriture : ce sont les stylos et plumes de marque ;
- des cartes d’invitation personnalisées ;
- sur le site internet, on peut commander des produits livrables à domicile ou sur place. Si le client trouve finalement que l’article ne lui convient pas, il est repris et le remis en vente ;
- politique commerciale : elle conseille volontiers ses clients ; quand elle n’a pas un produit, elle envoie le client au bon endroit. Elle dit que la vie commerçante est un aller-retour mais que cette solidarité commerciale se perd.
La première Papeterie Bourquin, place de la Poste. C’est comme si le temps n’était pas passé… une époque bien plus rassurante que la présente.

De l’élégance : je vois Nathalie qui s’apprête à écrire la commande d’un article que je convoite et ne peux m’empêcher de prendre ses mains en photo. Les mains sont souvent le portrait de la personne. C’est le cas de celles de Nathalie : elles sont bien fermes, ongles soignés et courts, donc pratiques, et elles tiennent une plume ! Nathalie me dit qu’elle ne peut écrire autrement. La sienne est une XXX. Cela m’a donné envie de redonner vie à la mienne qui trône sur mon bureau. Nathalie s’est chargée de la réanimer.

Changement dans la continuité. On se dirait dans le monde de la politique. Ce que je cherche à dire c’est que la papeterie physique ferme ses portes mais qu’elle continuera à rendre service aux clients par la Toile via sa plate-forme. La nouvelle a été annoncée vers le 20 juin et prendra effet le 31 juillet 2025, soit dans près d’un mois. Un mois pour liquider la marchandise et nettoyer le local… tant d’années d’histoire balayées en un rien de temps… Nathalie a bien cherché un autre local, mais les loyers…
Le 31 juillet 2025. Ce sera donc le dernier jour où la papeterie Bourquin aura une présence physique. Je lui ai proposé de boire un verre de Mauler rosé ce jour-là. Il faut toujours garder la tête haute et on ne sait ce que l’avenir nous réserve. Elle a été d’accord.
Liens vers des articles sur le commerce au centre-ville ou des personnalités de la ville :
- Michel Vautravers ;
- Gilbert Facchinetti ;
- Droguerie Schneitter ;
- André Crellier – Vins Crellier ;
- Une caissière remarquable ;
- Interdiscount ;
- Les agences de voyage CFF ;
- Une vendeuse remarquable ;
- Attitude des clients ;
- Au Pêcheur ;
- J’aime les travailleurs manuels ;
- Le personnel à la caisse des grands magasins ;
- Cordonnerie du Trésor ;
- Questions sociales ;
- Pages d’histoire neuchâteloise ;
- Le Figaro : rencontre particulière 15.
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