Denis Froidevaux est parti au ciel

Ce qui fait la valeur d’un homme c’est sa bonté.

Proverbe. C’est celui que ses deux soeurs, Danièle et Madeleine, ont choisi pour caractériser Denis. Tout le monde a été d’accord. C’est vrai, je n’ai jamais entendu Denis critiquer quelqu’un ; je l’ai toujours vu de bonne humeur ou, si la situation pouvait être sujette à caution, il disait : « Ouf ! », levait les bras, tournait un peu la tête et rigolait. Il n’y avait pas besoin d’en savoir plus. Il voulait dire que l’on ne pouvait rien faire et que ce n’était pas la peine de perdre son temps et son énergie à débattre d’une chose qui nous échappait. Denis était le savoir-vivre même. D’ailleurs, parmi les gens qui sont venus lui dire un dernier au-revoir, il y avait la conservatrice des archives privées et des manuscrits de la bibliothèque de Neuchâtel, Martine de Ceuninck Noirjean, que je connais bien et trois autres anciens collègues. Elle a dit combien elle avait eu du plaisir à travailler avec Denis. J’ai trouvé cela significatif d’autant plus que cela faisait une vingtaine d’années que Denis était à la retraite…

Il semble toutefois qu’il n’a pas toujours été ainsi. Denis a été turbulent dans sa jeunesse. Il y a eu quelques anecdotes racontées lors de la verrée qui a suivi le dépôt de ses cendres au jardin du souvenir de Beauregard. En voici quelques-unes :

  • il était avec un groupe de garçons et ne voulaient pas de filles. Cela arrive dans les meilleures familles ! Mais voilà qu’une fillette les suit. Denis se tient à une rampe, fait semblant de la lécher et dit : « Mmm, c’est bon ! ». La fillette l’imite, mais sa langue reste collée à la rampe. C’est le moment de préciser que c’était en plein hiver… L’un des garçons a couru appeler la maman au secours qui est arrivée avec un seau d’eau chaude. Voilà le genre de plaisanteries auxquelles il pouvait se prêter ;
  • il y avait une employée que bien des gens n’aimaient pas. Denis et Jules (le fils de l’avocat Jules Biétry) ont crevé les pneus avec de gros clous ; les quatre, et cela par deux fois. Jules me raconte que feu mon ami, André Oppel, les regardait par la fenêtre et les saluait de la main. Je reconnais bien là André ;
  • Denis et Jules se trouvent à la gare et voient un tas de colis. Comme le service des Objets trouvés ne se trouve pas loin, ils prennent des paquets et les y apportent peu à peu. C’est au bout d’un moment que l’employé des CFF s’est posé des questions en recevant tant d' »objets perdus » !
  • ceci n’est pas une plaisanterie mais l’effet aurait pu être dévastateur. Je crois bien que cela se passait à la fabrique et Denis était avec un groupe de copains. Il faisait froid et pour se réchauffer, Denis a eu l’idée d’allumer un tas de bois dans une chambre. Un quart d’heure plus tard, le feu a embrasé la chambre et il a fallu bien des efforts pour éviter que la fabrique ne prenne feu ;
  • ici non plus, il ne s’agit pas d’une plaisanterie, mais un fait assez remarquable : Denis a parcouru toute la Suisse sur son Solex. Il en a fait de même à la retraite en train. Quand même, je reste admirative de l’imaginer sur son Solex.

Encore un mot sur le caractère de Denis. Je le dis plus haut, Denis était la bonté et la gentillesse mêmes. Il a eu un rôle important dans la famille. Cela a été rapporté dans les paroles prononcées lors de la cérémonie : « Dans une famille où les relations n’ont pas toujours été simples, Denis avait trouvé une position rare : il savait, tel un diplomate, maintenir la juste distance avec chacun. Sans jamais prendre parti, il a su être l’élément d’équilibre ; celui que reliait sans juger, celui qui apaisait par sa présence tranquille. Il était ce point d’ancrage qui relie sans contraindre. « 

Quelques jours avant son départ. Lors d’un moment de confidences avec Danièle « qui lui disait combien elle l’admirait pour la manière dont il avait surmonté les difficultés de sa vie, Denis avait alors répondu, avec la sincérité qui était la sienne : ‘J’ai simplement essayé de ne pas oublier de vivre le meilleur entre tout ce qui ne l’était pas’. »

Denis et les Frésard. Charles Frésard a été le comptable de la Fabrique d’horlogerie Froidevaux S.A. Neuchâtel. Denis était son employé. Entre monsieur Frésard et Denis s’est établi une belle relation filiale qui a duré toute une vie. Lorsque les affaires de monsieur Froidevaux ont commencé à péricliter et que monsieur Frésard s’est vu obligé à trouver un travail ailleurs, il a pris Denis avec lui. De plus, les deux habitaient dans des appartements mitoyens dans la maison que monsieur Froidevaux avait fait construire près de sa fabrique. Ils avaient aussi l’amour du sport en commun. Ils regardaient les courses à vélo, les matches de foot et de tennis ensemble et tous les fins d’après-midi, ils prenaient leur apéro ensemble. C’est rare d’avoir une telle relation. Et pour clore la chose, Denis est né un 3 juillet, le même jour que Charles Frésard. Ils étaient prédestinés !

Des cadeaux pour moi. Denis savait que j’ai de l’admiration pour Einstein et s’est dit que c’était l’occasion de me faire parvenir deux choses que bien des gens ignorent à son sujet. Il s’est ingénié à faire parler Marlyse Biétry, la soeur de Jules. Il ne faut pas faire beaucoup d’efforts pour faire parler Marlyse, mais là, j’ai bien senti que les anecdotes qui suivent étaient pour moi. Merci Denis ! :

  1. La marraine de Marlyse avait habité dans la même maison qu’Albert Einstein, là où il y a le musée à Berne. Lorsqu’elle a eu six ans, elle a perdu sa maman. Albert Einstein allait les chercher, elle et son frère, pour les promener. Il vaut la peine de mentionner que la marraine, Nina Guillaume, était la petite nièce d’un autre physicien, Charles-Édouard Guillaume, qui a eu le prix Nobel en 1920 ( ses travaux sur la dilatation des métaux ont été utiles pour la métrologie, l’horlogerie et même contribué à l’invention de la télévision !) ;
  2. Lorsqu’on allait au restaurant, nous avons croisé madame Rossel, la femme de feu le professeur Paul-René Rossel. Or, le professeur avait été l’étudiant d’Einstein au poly de Zurich.

Ce sont des choses qui me rendent Einstein (voir le lien pour l’article que je lui dédie) plus proche encore. Mais, Denis m’avait aussi permis de compléter l’article sur les montres Froidevaux en me montrant celles qu’il avait en sa possession. C’est dans l’article sur l’homme Froidevaux dont le lien figure plus bas.

Denis et la musique : Denis aimait le folklore suisse et la musique douce. C’est ainsi que Danièle a choisi la valse no 17 de Chopin pour finir la cérémonie. Or cette musique a aussi une grande signification pour moi et je l’écoute presque tous les jours. Un autre cadeau ! Voici une interprétation sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=eN5z1mu6j4M&list=RDeN5z1mu6j4M&start_radio=1&ab_channel=Kassia

Voici Denis il y a un peu plus d’une année, à Noël, chez monsieur Frésard. C’est touchant. Son regard accompagné de son sourire si particulier est celui de toujours, chaleureux et si plein de *j’ai saisi et je comprends ». Les lumières roses des bougies et de la lampe lui vont si bien… et il est assis à la place qu’il occupait lors des apéritifs.

Commentaires : certains anciens collègues ont aimé l’article et ajouté qu’ils étaient émus de le retrouver de cette façon ; une personne a rappelé que « Denis avait été une belle personne, pleine d’humanité et qu’elle avait eu de la chance d’avoir partagé une partie de sa vie professionnelle avec lui ». Je me dis que c’est une belle carte de visite pour aller au ciel !

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Pierre Dubois parti au ciel

Je le dis dans l’article que je lui ai consacré il y a quelques années, il était le dernier Neuchâtelois à m’appeler Tsouli. « Salut Tsouli. Merci de ton appel », ont été ses derniers mots pour moi deux soirs avant son départ.

Pierre et son amour pour une belle langue. C’est ce qui nous a réunis, en plus du fait d’avoir des égards pour les autres et un besoin d’aider. En arrière-fond, il y avait tout un pan de l’histoire de Neuchâtel qui nous était familier, on venait du même monde. Dans ce monde, il y avait une culture générale commune à tellement de gens que c’était une norme. Aujourd’hui, je ne m’y retrouve plus.

Dernier au revoir. Je suis allée dire un dernier au revoir à Pierre. Il était très élégant avec son costume, sa chemise blanche, sa cravate bleue et une rose rouge dans la poche passepoilée de sa veste. Entre ses mains, il tenait sa pipe et un sac tout neuf de tabac de sa marque préférée, Virginia. Il ne manquera de rien pendant son voyage !

Avant le dernier au revoir. Je suis allée au funérarium en me disant que je n’avais pas le code d’accès mais que quelque chose allait se passer : une personne y entrerait aussi ou en sortirait. Arrivée sur place, rien, personne. Il y avait des instructions pour appeler ici ou là, mais pas de numéro direct. Alors, je me suis dit que Pierre allait me sortir d’affaire et je lui ai téléphoné. Bon, pas de réponse, mais tout de suite après, c’est Ilir, l’un de ses aides-soignants, qui m’a rappelée pour me dire qu’il avait entendu, par hasard, le téléphone et qui m’a donné le code. Que dire…

Son dernier voyage. Pierre aimait la compagnie et le destin a fait que Jean-Piere Ghelfi, compagnon d’armes socialiste, le précède d’un jour. Alors, lorsque je suis allée dire mon dernier au revoir à Pierre, j’ai fait un détour pour voir aussi Jean-Pierre. Ils font le voyage ensemble. J’aimerais entendre ce qu’ils se racontent…

Cadeau de Pierre J’ai eu la chance de m’asseoir à la Collégiale à côté d’un monsieur qui m’a dit faire partie de la confrérie du Gruyère. C’était tellement inattendu, tellement je ne sais comment… J’ai eu l’impression que Pierre me faisait un cadeau. En effet, lorsque je lui avais fait la présentation de mon premier spectacle « lecture-théâtre », il avait été question du gruyère. On avait discuté parce que pour les Français, le fromage suisse a des trous et il s’appelle gruyère ! Voici la scène du spectacle qui suit celle du syllogisme :

Mon expert en français, Pierre Buffiere de Lair, m’avait dit qu’on pouvait garder la forme dans un spectacle présenté en France mais qu’en Suisse il fallait que je parle d’emmental. Pierre avait été tout à fait d’accord et c’est là qu’il m’avait dit faire partie de la confrérie du Gruyère ! En me faisant m’asseoir à côté de la confrérie, Pierre m’a fait signe.

Dans ce texte, en vert, l’ajout de mon expert et en bleu les mots à remplacer par « de l’emmental » lorsque je présente le spectacle en Suisse. Le monsieur de la confrérie m’a dit que sous l’égide de Pierre, il y avait eu toute une campagne à Paris, dans le métro, qui disait quelque chose comme « Tout ce qui n’a pas de trou est du gruyère! ». Il va m’envoyer des photos. C’est magique ! Ce n’est pas la première fois qu’une personne qui a quitté ce monde me fait signe. Cela va enrichir mon spectacle. C’est magique ! (répétition volontaire, je n’ai pas d’autre mot)

La confrérie du Gruyère. Trois hommes en costume et avec le drapeau de la confrérie ont défilé, déposé le drapeau près du cercueil et ouvert la cérémonie. C’était très touchant.

J’avais fait une photo dans La Collégiale, mais elle est un peu floue. Ici, j’ai dû faire un montage parce qu’avec le téléphone portable, en ce jour très ensoleillé, je ne voyais rien à l’écran et j’ai donc rajouté le drapeau. Finalement, la photo est une composition de celle de l’intérieur et celle de l’extérieur. Tout un symbole de la vie terrestre et de celle d’après.

Ce que Pierre a été et fait à Neuchâtel. Tout le monde s’est accordé pour dire que Pierre avait été un homme avenant, aimable (voici ce qu’écrit Pascal Hofer dans le journal Arcinfo du 11 juin : « Très facile d’accès, simple au sens noble du terme, il jouissait d’une grande popularité. »), cultivé, désireux de faire du bien, passionné de foot (pour lui, il y avait trois sports : le foot, le foot et le foot ! (C’est son ami Bernard Renevey et assistant en informatique lorsque j’étais à l’uni qui l’a rappelé), aimant les formes et donc le français ; le tout avec un humour parfois ironique. Il a fait partie du conseil général (1968-1980), député au Grand conseil (1973-1980) pour devenir ensuite conseiller d’État de 1980 à 1997 ; c’est une longévité peu habituelle. Elle lui a permis de faire nombre de choses dont les Neuchâtelois ont bénéficié et qui ont parfois aussi servi de modèle à d’autres cantons, voire à la Confédération.

Remerciements à Laurent Kurth, ancien conseiller d’État, qui m’a aimablement remis le texte du discours qu’il a prononcé lors de la cérémonie et où il dit : « J’ai eu le privilège d’assister, puis de prendre part à plusieurs des multiples réformes que Pierre Dubois a menées, avec originalité et audace, avec conviction aussi, dans un climat de dialogue et de concertation systématique avec ses partenaires, qu’ils aient été opposants ou favorables à ses projets . Il a toujours soutenu ceux qu’il avait choisis pour mener ces chantiers ». Voici quelques-unes des actions marquantes de Pierre :

  • gestion de crises comme la faillite de Dubied ou la fin des activités de La Neuchâteloise Assurances ;
  • mise en place et développement de la promotion économique avec Francis Sermet et Karl Dobler ; à la suite des crises horlogère et pétrolière, il s’agissait de redonner espoir et d’offrir de nouvelles perspectives aux Neuchâtelois et pour cela susciter, de la part des entreprises neuchâteloises comme des nouvelles venues, l’investissement, l’innovation, la création d’emplois et la diversification des activités. Cela s’est vu notamment dans les domaines de la microtechnique et des entreprises pharmaceutiques. D’autres cantons se sont inspirés de cette politique ;
  • dans le domaine de l’emploi :
    • réorganisation de la Caisse cantonale d’assurance chômage (CCNAC) menée avec Pascal Guillet ;
    • réforme de la médecine du travail, menée avec Pierre Chuat, puis Michel Guenat ;
    • création du Service d’emploi, développement des Offices régionaux de placement (ORP), développement des mesures de crise afin d’entretenir l’espoir et l’activité des chômeurs et de servir de rampe de lancement aux jeunes diplômés ;
    • soutien et développement de l’association Job Service, lancée par Thomas Facchinetti et Michel Roulin à la fin des années 1980 ;
  • création de la première fonction cantonale de délégué aux étrangers – devenue Service de la cohésion multiculturelle – avec Thomas Facchinetti. Ces initiatives originales ont aussi fait école ailleurs en Suisse et inspiré la politique fédérale ;
  • transformation de l’École cantonale d’agriculture, pour donner naissance à Evologia et à l’École cantonale des métiers de la terre et de la nature (ECMTN). Cette réussite est un exemple, parmi d’autres, du flair politique de Pierre Dubois : en confiant à un agriculteur, le libéral Roger Ummel, à un directeur des ressources humaines dans l’industrie, le radical Jean.-Pierre Robert, et à un ingénieur spécialiste des questions d’aménagement du territoire, le socialiste Bernard Soguel – tous trois issus de cette école – le mandat de formuler une proposition pour le devenir du site, il a jeté les bases d’un accord politique pour valoriser les métiers de la terre et constituer un lieu-phare du Val-de-Ruz dédié à la formation, à la réinsertion et à la création culturelle rassemblant l’ensemble du canton.
    • désirant en savoir plus, j’ai téléphoné à Bernard Soguel qui m’a précisé que J.-P. Robert, comme bien d’autres agriculteurs, avait dû se recycler et était devenu directeur des ressources humaines des Câbles de Cortaillod. Au moment du processus mentionné, il était déjà à la retraite ; et que lui-même était entré ensuite à la Haute école d’agronomie de Zollikofen. « Quelle chance, lui ai-je, dit. Vous parlez le suisse allemand ? – Oh, je comprends bien l’allemand. La plupart des enseignants étaient alémaniques et chaque professeur enseignait dans sa langue maternelle. » Je trouve cela fascinant ;
  • réforme de l’organisation du tourisme, menée avec François Jeanneret et Yann Engel. Cela a été la plateforme pour l’exposition nationale dont il a été le vice-président du comité directeur ;
  • au début des années 1990, le nombre de départements de l’administration cantonale a été ramené de dix à cinq ; le tourisme et l’agriculture y sont entrés de plain-pied !
  • constitution de l’Office de l’assurance invalidité (AI), avec Pierre-François Willemin ;
  • équipement des maisons d’enfants, avec Jean-Claude Knutti et Eric Pavillon :
  • modernisation du registre foncier, avec Armand Gugler ;
  • modernisation des mensurations cadastrales, avec Pierre-Alain Trachsel ;
  • privatisation des activités industrielles de l’Observatoire cantonal, avec Giovanni Busca.

La suite. Après son retrait officiel, il a continué à œuvrer dans diverses institutions dont le Conseil de défense de la Confédération. Même des étudiants lui téléphonaient jusqu’à très récemment pour lui demander des informations, des conseils. J’étais en visite une fois lorsque cela s’est produit.

Du sérieux et du jeu. Laurent Kurth dit entre autres :  » (Par jeu, Pierre) s’évertuait à placer une référence à Neuchâtel-Xamax dans ses discours , ses interviews, ses débats télévisés, ses interventions devant le Grand conseil ou les congrès du parti socialiste. […] En résumé, un esprit joyeux, libre et indépendant. » Thomas Facchinetti me dit que lorsque Xamax était à son zénith, Pierre considérait l’équipe comme un ambassadeur tellement l’équipe était connue. Je peux fournir un exemple, car au moment où j’ai passé mes examens de chorégraphe et maître de ballet à Bucarest, l’expert du ministère de la Culture m’a parlé de Xamax !

Mais des colères aussi : « De saintes colères, qui, selon sa propre description, le faisaient devenir tout rouge avec les oreilles toutes blanches ! » C’est tellement joli d’imaginer cet homme si poli sortir de ses gonds…

Pour finir, une anecdote ou l’anecdote, car Laurent Kurth a mentionné celle qui figure tout au début de mon autre article sur Pierre et qui concerne le tunnel de Prébarreau. Voici le lien,

L’histoire. Je le dis souvent, l’histoire est la branche la plus importante de tout ce qu’on apprend. On n’est rien sans ce qui a été fait avant. En faisant la liste de ce que Pierre et ses collaborateurs ont accompli, on se rend compte que la population neuchâteloise et d’ailleurs leur est redevable à bien des égards. On prend pour acquis un tas de choses or il y a toujours un début et un personnage qui le lance et le met en route. Pierre fait partie d’eux. C’est ainsi que Laurent Kurth a bénéficié d’un premier emploi grâce au remaniement de Pierre du Service de l’emploi. J’ai bénéficié des mesures de crise en période de chômage, de l’office d’ORP, de la caisse de chômage et même de son avis sur le gruyère pour mon spectacle !

Un dernier mot. On dit que lorsqu’on part au ciel la nuit, c’est avoir une belle mort. Cela a été le cas de Pierre. Il est parti étant chez lui, dans son lit. C’est Ilir qui me l’a raconté. Je le remercie.

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Jacques Collin a rejoint son étoile

J’ai eu la chance de le revoir une dernière fois en septembre. C’est Yann, son fils, qui m’a tenue au courant des déplacements de son père.

Les départs au ciel. Chacun a sa façon de vivre les événements. Dans le cas présent, je suis face à bien des incompréhensions, mais ce qui prime surtout c’est l’affection que j’avais pour Jacques. Ici, je ne sais plus comment écrire, il faudrait un temps verbal qui tienne compte du passé et du présent parce que j’éprouve toujours de l’affection mais d’une façon différente, plus apaisée mais aussi empreinte de tristesse parce qu’on ne va plus se revoir.

Dernière rencontre. Je lui avais rendu visite à Cluny l’année passée et en préparais une autre lorsque Yann m’a dit qu’il était parti à Versailles. J’ai dû attendre que les jeux olympiques soient passés. En préparant le voyage, je sentais que ce serait la dernière fois. J’ai été très contente de le revoir et lui de me voir. C’est une chance que d’être accepté dans le monde de l’autre. J’ai été très touchée par des mots qu’il m’a dits et surtout par sa préoccupation permanente : « il faudrait que tout le monde fasse du bien ». C’est quand même remarquable qu’au moment du départ, on pense aux autres. Nous nous sommes quittés les yeux dans les yeux.

Son dernier voyage. Jacques a quitté ce monde une dizaine de jours après. Je me suis dit que je voulais l’accompagner et ai pris le train. C’était sans compter avec une tempête qui avait déraciné des arbres et les avait semés sur la voie. Résultat, je suis arrivée à Paris à 14 h 15 au lieu de 10 h 06 et n’ai plus eu la possibilité de me déplacer à Versailles ; j’avais un billet aller-retour parce que j’avais un week-end chargé et que je ne pouvais déplacer mes activités. Mais, il y a eu une jolie surprise.

Mâcon-Loché. Le train avait du retard et au lieu de faire Frasne-Dijon-Paris a fait Frasne-Mâcon Loché-Paris. Alors pourquoi descendre au lieu de monter ou d’attendre ? Eh bien, c’est tout simplement parce que c’est là que Jacques est venu me chercher en voiture lorsque je lui ai rendu visite pour la première fois il y a quelques années. Cela a été sa façon de me faire un clin d’oeil. Lorsque j’ai expliqué le pourquoi de ce détour aux voyageurs de mon wagon, ils ont souri avec chaleur et pas un n’a trouvé mon explication hors de propos, même pas le contrôleur des billets !

On voit à gauche les escaliers que nous avons empruntés lors de mon retour chez moi. Jacques avait pris mon sac et avait dit : « Mon père m’a bien élevé ! »
La rose dans un vase chez moi

Avant mon départ, j’achète une rose. Le temps que j’achète mon billet de train, que je fasse un tas de choses et voilà qu’il était 18 h 30 mais par chance l’un des deux derniers magasins qui vendent des fleurs à Neuchâtel était encore ouvert. J’ai pris une rose blanche. Je l’ai mise dans un vase sur ma table (tout devant) qui a plein de choses, mais toutes indispensables au décor !

La rose a donc fait tout le voyage avec moi. Arrivée à Paris et ne pouvant plus aller à Versailles, j’ai cherché le contrôleur des billets qui m’avait dit regretter de ne pouvoir rien faire pour que j’arrive à bonne destination à temps. Comme il avait dû supporter pas mal de questions et de remarques de la part d’autres voyageurs, je me suis dit que la rose serait pour lui. J’ai mis un peu de temps à le trouver et la lui ai remise. Cela lui a fait plaisir et la rose s’est trouvé un nouveau destin.

Deux départs au ciel le même jour. Ce même lundi 16 septembre un autre ami, Ionel, a quitté Bucarest pour aller au ciel. Mais, tous les chemins menant à Rome, ils se sont rencontrés. Ils avaient peut-être ma carte de visite en commun. Ionel a vécu une vie simple, très simple et depuis des années ne portait que des habits de seconde main. Par chance, j’ai pu lui acheter, il y a quelques années, des choses neuves lorsque le magasin Garcin a liquidé sa marchandise avant de fermer. À son décès, la petite nièce de Ionel, Valentina a décidé de l’habiller des pieds à la tête avec des affaires neuves de toute beauté. Je raconte l’affaire ici. Alors, lorsqu’ils se sont rencontrés, Jacques a dit à Ionel qu’il avait un fort beau costume. Ce dernier lui a fait savoir que s’il voulait le même, il n’y avait pas de problème parce que là où ils se trouvaient il y en avait tant qu’on en voulait !

Spectacle. Le jeudi suivant, j’ai présenté l’un de mes spectacles intimistes de danse-théâtre à un groupe d’amis ; Jacques et Ionel sont venus dans leur belle tenue. Ils ont été aux premières loges entourés de lumière. C’était absolument magnifique.

Je me demande. Maintenant que j’écris l’article, je me rends compte que Jacques m’avait dit, lors de l’une des dernières fois que nous avions parlé au téléphone : « Si tu passes dans le coin, viens me voir ! » Mon autre ami Ionel m’avait aussi fait la même invitation. Aucun des deux ne me l’avait dit auparavant. Je me demande s’ils ne savaient pas qu’ils allaient partir…

Précision : je parle du ciel, en fait, pour moi, c’est un changement de dimension.

Un autre signe : cela fait deux mois et demi que Jaques est parti rejoindre son étoile et je me rends à Paris pour suivre un cours et prends un jour de plus pour aller lui rendre visite à sa dernière demeure. Les distances à Paris sont… longues et malgré mes efforts arrive vers 16 h 30 à Versailles. Mais, j’ai de la chance, je tombe sur des personnes qui me guident et même m’accompagnent sur la tombe parce que même si je sais théoriquement où elle est., pour s’y repérer c’est une autre affaire. J’ai eu le sentiment d’être guidée. J’ai quand même le temps de discuter un moment avec Jaques et de sortir parce que le cimetière ferme à 17 h et que la gardienne est l’horaire en personne. Sans l’aide des personnes mentionnées, je n’aurais pas pu arriver.

Encore un autre signe : je reprends le train de retour et qui me reçoit sur la plateforme du TGV ? Le contrôleur du train de la dernière fois ! Les probabilités pour que je le revoie sont… à vous de calculer ! Il m’a dit qu’il se rappelait tout à fait de moi et que la rose était toujours à la maison !

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Garde-robe de Ionel, un ami qui part au ciel

Cette histoire évoque une certaine résonance.

Mardi, j’ai reçu un appel téléphonique de Valentina, la petite-fille d’une dame qui m’a beaucoup aidée dans la vie alors que je vivais à Bucarest. La grand-maman est partie au ciel depuis un moment. Valentina a son caractère bien à elle et ne le comprenant pas toujours, j’ai laissé la relation de côté. Elle ne m’a jamais appelée et lorsque je me rends à Bucarest, je ne la vois pas. La surprise est de taille de l’avoir de l’autre côté du fil pour me dire que son grand-oncle est parti au ciel, mais dans l’ordre des choses. Pourquoi ? De temps à autre, j’appelais Ionel, mais ces derniers temps les conditions ayant un peu changé, j’ai téléphoné moins. Tout à coup, un besoin me fait l’appeler, mais pas de réponse. Une fois, deux fois, trois fois… je me dis que quelque chose est arrivé. Voilà la raison de ma surprise non-surprise. Elle m’annonce le départ de son grand-oncle.

Histoire de mon ami. Il a vécu une vie simple et a accepté tout ce qui lui est arrivé. C’est admirable et je n’ai pas vraiment eu l’occasion de le lui dire parce qu’on parlait plutôt des chats qu’il accueillait dans son jardin, voire chez lui et des oiseaux qu’il nourrissait sur le toit du garage en face de chez lui. J’ai des canaris, j’ai un lac près de chez moi et cela remplissait nos conversations. Ce que j’aimais c’est qu’il me disait, en fin de conversation numai bine. C’est une expression typiquement roumaine qui est tellement belle : ne souhaiter à l’autre que du bien. Non pas souhaiter ce que je pense qui est bien pour l’autre, non pas dire au revoir simplement, mais souhaiter du bien à l’autre, pour son bien à lui, est le plus beau des cadeaux que l’on puisse faire. Même quand il n’a plus pu bien marcher, il m’a toujours souhaité ce numai bine. J’étais toujours touchée que même dans cette situation, il pense à me souhaiter du bien.

Viens me rendre visite. Un jour que nous parlions au téléphone, il m’a dit : « Si tu viens au pays, viens me rendre visite ». Jamais, il ne m’avait parlé de la sorte et j’ai eu l’impression que ce serait la dernière fois qu’on allait se voir. C’est en décembre 2023 qu’on s’est revus. Quelle chance !

Son départ au ciel. Peu avant, il avait été interné dans un établissement médicalisé parce qu’il n’y avait plus moyen de le garder à la maison. Bien des familles ont affaire à cette situation si difficile, et ce, partout dans le monde. Nous ne vivons plus à plusieurs générations ensemble, chacun a ses occupations et l’entourage s’épuise jusqu’à la maladie. Prévoyant le pire, la petite-nièce a pris les choses en main et a trouvé le meilleur endroit pour son grand-oncle. C’est bien un trait de son caractère : si elle fait quelque chose, c’est fait jusqu’au bout et bien. Puis, lundi passé, il a décidé de s’en aller au ciel.

Intervention de la petite-nièce. Cette dernière, déjà une adulte avec droit de vote (!), donc citoyenne à part entière, discute avec Iulia son amie d’enfance que je connais aussi et lui dit : « Mon grand-oncle n’a eu, toutes ces dernières années, que des habits de seconde main, il lui faut quelque chose de neuf pour son dernier voyage ! » Ni une ni deux, elles vont dans un magnifique magasin italien, choisissent un superbe costume bleu nuit, une splendide chemise, une très belle cravate, des chaussettes ainsi que des chaussures en cuir assorties au costume. Un vrai tableau !

Qui ne serait pas tenté de partir avec une tenue pareille ?

Mon évaluation de la petite-nièce de mon ami. Vous le savez, il y a toute sorte d’évaluations : les journaux demandent aux lecteurs de leur dire si les articles leur conviennent, les magasins demandent aux clients s’ils sont contents avec leurs articles et s’il y a quelque chose à améliorer… À croire que les études ne forment pas correctement. Toujours est-il qu’après avoir entendu la magnifique réaction de la petite-nièce de mon ami, je lui dis que sa note chez moi avait été plutôt au ras-du-sol mais que maintenant elle était au-dessus de 10 ! (10 étant la note maximale en Roumanie) Pour moi, le fait que la relation ait été inexistante ne veut pas dire qu’elle le restera toujours, l’action de cette fille, aidée par son amie, est remarquable et elle me nourrit. Lorsque je l’ai racontée à diverses personnes, elle leur a fait du bien.

Valentina et le soudoku. Quand le soudoku est entré dans nos moeurs, c’est Valentina qui m’a appris les règles. Elle a non seulement un caractère, elle est aussi une tête ! Je suis reconnaissante à Valentina parce que ce jeu est intéressant à plus d’un titre, au point que j’en ai fait une métaphore avec la vie.

Mon enseignement et Valentina. J’aime enseigner. Une fois, j’étais en vacances dans la famille et Valentina devait préparer un travail d’histoire qui lui posait des problèmes. Je lui ai alors suggéré d’imaginer les divers personnages, d’en faire une scène vivante. Je crois bien que c’est là que j’ai pris conscience que l’apprentissage des leçons pouvait être autre chose que l’apprise par coeur. Cela se fait automatiquement dans la danse, la transposition dans la vie n’est plus qu’une « application » , pour utiliser le langage actuel mais qu’est-ce que cela rend service !

Une certaine résonance. C’est ici qu’intervient le sous-titre de cette histoire si touchante. Lorsque la grand-maman était venue me rendre visite une fois, sa fille allait avoir un bébé, une fillette, soit Valentina, la petite-nièce de mon ami. Elle avait acheté des habits de seconde main et mes amies lui en avaient aussi donné. Je m’étais dit qu’un bébé tout neuf avec des habits d’autres… il fallait qu’il sache qu’il pouvait aussi porter des habits tout neufs et je les lui avais achetés. L’héroïne de cette histoire ignorait ce fait, mais elle est d’accord pour dire que rien n’est dû au hasard. Pour moi, c’est comme un cercle qui s’est fermé ou une résonance qui a eu lieu et je trouve que c’est comme dans un conte !

Mais, la vie continue… bon... il faut comprendre le mot « vie » d’une façon spéciale. J’ai un autre ami, Jacques, qui est parti au ciel dans la nuit de lundi à mardi. Lorsqu’ils viennent me rendre visite pour voir comment c’est chez moi, Jacques remarque le costume de mon autre ami. Celui-ci lui dit : « Tu veux le même ? Pas de problème, ici il y en a tant que tu en veux ! » C’est ainsi que jeudi, lorsque j’ai présenté mon spectacle de danse-théâtre à un groupe d’amis, ils étaient aux premières loges avec leur bel habit entourés d’une belle lumière ! Je vous dis, c’est un conte.

Dans tous les contes il y a une morale. Ionel a participé au fait que lorsque j’allais passer des périodes à Bucarest, à la maison, j’étais chez moi. Valentina ignore que ses explications sur le soudoku m’ont induite à écrire un article qui est une philosophie de la vie qui aide des personnes à comprendre une façon de vivre. Nous avons tous une influence les uns sur les autres et il vaut mieux que ce soit pour le numai bine de Ionel.

Liens vers d’autres histoires de départ au ciel :

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Madame Brodard s’en est allée au marché du ciel !

Mme Brodard était un personnage du marché de Neuchâtel.

Samedi passé, de retour de mon bain au lac, je rencontre au marché monsieur Jean-Daniel Pellet, père de Michaël, autres figures emblématiques de cet endroit que je qualifie comme racine de Neuchâtel (je reviendrai sur le sujet). On discute de la température de l’eau, de la déclaration d’impôts (je suis en train de remplir la mienne), d’administration et tout à coup, il me dit : « Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mère, elle aura 91 ans ! ». Madame Pellet, Hélène Pellet, ce que j’aime aussi cette dame ! Elle connaissait le nom de tous ses clients ainsi que celui de leurs conjoints et enfants. J’ai regretté qu’à cause de la pandémie elle ait dû s’éloigner. Elle n’est plus revenue, mais je me dis souvent que je vais aller lui rendre visite. Cette fois c’est décidé, au mois de novembre je me pointe chez elle ! Monsieur Pellet me dit qu’il pourrait venir me chercher. Je vais quand même lui éviter ce trajet. Rentrée à la maison, j’envoie encore un message par WhatsApp à Michaël pour souhaiter un bel anniversaire à la grand-mère. Michaël me répond et m’envoie l’annonce de décès de madame Brodard, survenu le jeudi 12 octobre de cette année 2023.

Lorsque les choses se lient les unes aux autres, comme dans le cas présent, c’est pour moi un signe indiscutable du fait que je suis au bon endroit et au bon moment. C’est comme si les dieux avaient envoyé plusieurs messagers pour me faire comprendre que le ciel avait ouvert ses portes à madame Brodard… mes canaris et moi lui devons tellement…

Pendant des années, Mme Brodard m’a apporté des graminées et toute sorte de fleurs pour mes canaris en volière. Parfois, elle me surprenait et me disait : « Essayez celles-ci, ils doivent aimer. » ou alors, en fin de journée, elle me disait : « Prenez encore ceci, je ne vais pas tout ramener à la maison. » Il m’est arrivé une fois de lui dire que les canaris n’avaient pas mangé les baies rouges qu’elle m’avait proposées à Noël (pas du houx, une autre sorte que les moineaux mangent volontiers, du cotoneaster) et elle a répondu : « Pourtant , ils aimaient avant !  » – »Oui, mais la génération actuelle… » – « Ah, les coquins ! » et elle a bougé la tête à sa façon tout en souriant. Quand elle a éprouvé des difficultés pour se déplacer, je suis devenue « livreuse de fleurs » pour une maraîchaire qui lui achetait des fleurs pour la maison ; j’ai aussi été « rameneuse de la tasse de café » qu’elle prenait au Charlot. J’aimais bien lui rendre un service ou un autre.

Les décisions politiques. Elles ont une incidence sur la vie du marché. On le sait, rien n’est éternel en ce bas monde. Tout de même, le marché est une racine de Neuchâtel qu’il ne faudrait pas déplacer : une fois à la place du Port, une fois devant la Poste, une fois à la rue du Seyon et à la place du Marché… les gens ne s’en sortent plus. La place du Marché, bien que rebaptisée place des Halles, porte bien son nom, elle est la place où le marché a lieu. Mais, les terrasses des cafés, restaurants et autres établissements publics ont eu le dessus : lorsque les propriétaires des terrasses ont demandé plus de place et que les maraîchers ont voulu faire valoir leur histoire, ils se sont entendu dire : « Vous n’êtes que locataires !  » À la Fête des vendanges on avait le marché ; depuis qu’il y a une nouvelle tente qui n’a pas prévu je ne sais quoi, le marché ne peut plus avoir lieu. C’est ainsi que madame Brodard s’est vue placée en haut de la rue du Seyon. C’est comme une plante que l’on déplace ; elle est perdue sans son terrain. Elle n’est pas la seule à m’avoir fait savoir que le chiffre d’affaires avait baissé et que le rapport avec les autres collègues et vendeurs lui manquait. Cela a été un sacré coup pour madame Brodard. C’est tout un monde qui a été disloqué. Je connais deux autres maraîchers qui ont arrêté de venir parce qu’ils n’arrivaient plus à s’en sortir. En principe, il ne devait plus y avoir de nouvelles terrasses, mais une autre a encore été ouverte. Aujourd’hui, j’ai demandé à un groupe de maraîchers si tout allait bien et on m’a répondu que par rapport à l’année précédente, ce n’était pas le cas. Certains me rétorquent que la ville est très animée les samedis, oui, mais les passants sont-il aussi des clients du marché ? Les constats à « courte vue » m’agacent !

J’ai encore cru que madame Brodard allait revenir. Je ne sais pas comment je vois les gens, mais je n’ai pas compris qu’elle n’allait pas revenir, de même que je me dis que je vais revoir madame Pellet. La dernière fois que nous avons parlé au téléphone, madame Brodard m’a dit : « La tête va, c’est le travail qui ne va plus ». La fois d’après, son mari, un homme toujours souriant et plein de bonnes histoires, m’a dit que sa femme se reposait. Voilà, elle a quitté ce monde pour voir le marché du ciel (au propre et au figuré !), je me dis.

Madame Brodard dans son dernier lit. Je vais lui rendre visite à Beauregard. Je vais à pied en pensant à elle. Tout à coup, mon regard est attiré par des plantes que mes oiseaux aiment. J’ai l’impression que madame Brodard me dit : « Voilà pour les oiseaux ! » Je la remercie parce que cette année a été plutôt sèche et que je trouve peu de plantes sauvages pour mes canaris. C’est une jolie surprise et je me dis que je les prendrai à mon retour. Finalement j’arrive chez elle et on passe un moment ensemble. Je lui ai dit au revoir de la part de maraîchers qui n’avaient pu se déplacer. Elle a l’air paisible ; lorsque je lui parle, j’ai l’impression d’entendre sa voix. Je suis émerveillée, une fois de plus de la Création : il y a des millions d’individus, tous avec deux yeux, un nez, une bouche et deux oreilles et pourtant nous sommes tous différents et avec une voix particulière. J’aime la voix de madame Brodard. Au retour, je dis aux canaris que les plantes sont un cadeau de sa part et ils chantent !

Le service funéraire. Il y a plein de monde à l’église Saint-Norbert de La Coudre. Je ne l’avais jamais vue et la trouve jolie, accueillante. Parmi les personnes présentes, j’en reconnais certaines qui vont au marché. Je trouve touchant que des clients soient fidèles jusqu’au bout. En effet, ce n’est pas parce que la vie professionnelle s’est arrêtée que la vie, tout court, s’arrête aussi. Les enfants et petits-enfants de madame Brodard parlent de l’affection qu’ils avaient pour elle et racontent des anecdotes. L’une d’elles m’a frappée parce que j’en connaissais un bout : il y a deux ans, monsieur Brodard, remplaçant au marché Mme Brodard, me dit qu’il se réjouissait du repas de Noël parce que sa femme faisait une sauce aux morilles absolument délicieuse ; voilà que l’une de ses petites-filles raconte que dans la famille « on » avait voulu faire du nouveau à Noël et donc la sauce aux morilles avait disparu. Elle a rapporté que les petits-enfants avaient mis les pieds au mur et réclamé la sauce. La chose avait été rétablie ! L’assistance a eu le sourire aux lèvres

Le texte qui suit. Il a été lu par Alexandre, le sixième fils et c’est Marc, le cinquième, qui me l’a fait parvenir, je n’ai fait que la mise en pages (l’expression s’utilise au pluriel !) :

Note : Ce texte est touchant et je relève la transmission de valeurs. Notre siècle devrait être une évolution, mais justement, bien des valeurs se perdent… C’est beau de les transmettre.

Après la cérémonie, nous sommes allés au restaurant-auberge de la Tène, à Marin. Je me suis trouvée à table avec cinq convives. Comme il se doit, lorsqu’on est à une table avec plusieurs personnes, il se forme des groupes. C’est ainsi que j’ai pu parler longuement avec deux d’entre eux : David Maurer, un jeune entrepreneur. Son entreprise s’appelle Colorix SA. J’ai eu une conversation absolument passionnante. J’aime ceux qui aiment leur métier, qui cherchent et trouvent de nouvelles façons de faire, qui apportent quelque chose aux autres. Au fur et à mesure que je l’entendais, je me disais que j’allais écrire un article sur lui sur ma plateforme. Je pense qu’il faut mettre en exergue des gens comme lui. On va fixer une date ; l’autre personne est un journaliste, Gabriel de Weck. Mon Dieu ! un de Weck ! J’ai eu l’impression d’avoir toute la dynastie devant moi. Lui aussi est passionné par son métier et la courtoisie fait un avec lui ; cela me fait du bien de savoir cela. J’ai eu l’impression d’être au paradis avec des gens aimant la vie. Il travaille à la RTS et l’on doit se revoir parce que sa mère parle le russe et que le russe est la langue qui me fait fondre. Pour le retour, il m’a conseillé, puisque j’avais du temps, d’aller un bout le long du lac. Cela faisait un bail que je n’avais fait ce trajet. J’ai bien fait de suivre ce conseil avisé parce que j’ai trouvé sur le chemin de belles et longues branches pour la volière de mes canaris. Une fois de plus, je me suis dit que madame Brodard me (nous) faisait un cadeau !

Marc Brodard. Il est venu à notre table un moment et nous a raconté qu’à Noël, ses frères, ses soeurs et lui recevaient un pijama, des chaussettes et des mandarines ! C’est tellement joli. Il a aussi dit que pour la Saint-Nicolas, ses enfants recevaient également un pijama ! À la prochaine Saint-Nicolas, je vais penser à ces pijamas. Marc, je le connais depuis qu’il était étudiant et on avait discuté une fois ou l’autre des branches qu’il aimait le plus et de celles qu’il aimait le moins. J’ai été contente quand j’ai su qu’il était entré aux CFF. J’ai un attachement particulier pour ceux qui y travaillent et ai écrit un article sur ma plateforme lorsque l‘agence de voyages CFF de Neuchâtel a fermé. Je lui ai demandé le texte lu à l’église et me l’a fait parvenir en ajoutant : « J’ai parcouru votre site et ai eu le plaisir de voir vos oiseaux pour la première fois après les avoir imaginés pendant près de 20 ans ! »

Les remerciements. Je pense que remercier est un acte extrêmement important. C’est la reconnaissance pour un service rendu, même pour un service qu’on a payé ; même pour l’argent reçu en échange d’un service offert. J’ai eu la chance de remercier madame Brodard sur ma plateforme à deux reprises : l’une concerne la description de « Des oiseaux à la maison « , activité que j’exerce avec les enfants du Passeport vacances et l’autre dans l’article consacré au marché. Mais, comme on ne remercie jamais assez, je la remercie une nouvelle fois. Ce d’autant qu’elle continuera à me procurer des plantes pour mes canaris. Comment ? C’est un miracle « naturel ». Le miracle est par essence surnaturel, mais dans le cas présent c’est différent : les solidago que madame Brodard m’a vendues-données (pour un très bas prix) se sont plu chez moi et ont décidé de se planter dans les pots de mon balcon. Aussi, à chaque fois que je ramasse une branche, je pense à elle. Si feu mon ami , André Oppel, était encore de ce monde, il la remercierait pour ses confitures aux oranges amères. Il les aimait tant !

Les voies du destin. C’est quand même curieux ! Je révise le texte d’un médecin-écrivain français qui me fait l’amitié de m’envoyer un livre qu’il va republier sous le titre « La Malédiction des Orléans » où il revisite l’histoire de Jeanne d’Arc et voilà que cherchant les liens des articles liés à mes canaris sur ma plateforeme, je retrouve celui d’un poème écrit par Joseph Delteil. Je me dis que c’est le moment de mettre un mot sur cet écrivain et je vois qu’il a publié un livre sur… Jeanne d’Arc !

L’instinct est quelque chose que l’on partage avec les animaux. Je suis toujours surprise, lorsque j’apporte une plante encore inconnue au bataillon, de voir les oiseaux aller juste au bon endroit pour trouver la graine, le nectar, etc. Le cas de la photo « Avant » et « Après » est le dernier exemple.

Un festival de plantes et de branches. Ces derniers jours ont été pleins de fleurs et de choses pour mes oiseaux. Je me dis que madame Brodard me fait signe, car comment expliquer que des jardiniers les aient coupées et laissées quelques jours sur place ?

La notion du temps : hors de notre dimension, le passé, le présent et le futur ne font qu’un ; raison our laquelle la diapositive faite il y a quelques années garde sa validité en cette année 2023.

Tous ces gens qui partent au ciel ! En un mois, j’en ai eu trois. C’est énorme. Je dois me dépêcher avec ma déclaration d’impôts et l’ordre dans différents domaines. Pourtant, j’ai souvent l’impression que la vie ne fait que commencer et me dis que je pourrais faire encore ceci ou cela…

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Histoires de départ au ciel.2

C’est l’histoire d’un couple, dont le mari part au ciel.

Ils ont vécu longtemps ensemble, dans les 50 ans. Il émanait du monsieur une autorité certaine. Il avait des idées issues de longues recherches dans le domaine ésotérique et il était une bibliothèque ambulante dans divers domaines. Vers la fin de sa vie, il a assisté aux changements que nous voyons et s’est senti désabusé par les voies empruntées par la société actuelle. Il avait espéré apporter un mieux à ce monde…

Il faut ajouter qu’Il s’était toujours senti à part, dans sa famille, dans la vie, et au moment de quitter ce monde, il constate que. certaines de ses convictions sont mises à mal. Cela l’avait destabilité, mais, Il avait fini par en rire et sa phrase favorite était devenue « cela n’a pas d’importance ». J’ai quand même pu le remercier pour tout ce que j’ai appris de lui et pour ce qu’il avait appris aux autres.

C’est une chance que de pouvoir parler avec quelqu’un qui est près de quitter ce monde et d’avoir un échange de pensées sur une même longueur d’onde. C’est ainsi que nous avons parlé du physicien Jean-Pierre Garnier Malet et que j’ai vu le monsieur devenir plus gai, retrouver une certaine brillance dans le regard.

Le monsieur est maintenant au ciel est il aura découvert les derniers mystères qui lui avaient échappés.

Je rencontre sa femme aujourd’hui, et elle me dit que bien qu’elle soit submergée par un tas de démarches et des papiers à remplir, elle reprend sa personnalité, elle se sent redevenir elle-même.

Comme je le dis plus haut, le monsieur avait une certaine autorité et sa femme lui avait laissé le champ libre. Au moment où elle a vu que son mari perdait pied dans ce monde si irrationnel, elle l’a encore soutenu en s’oubliant. « Mais, ajoute-t-elle, je l’ai fait spontanément, c’est maintenant que je le vois ». Je lui dis que c’est par amour qu’elle a agi ainsi.

Elle me dit aussi qu’elle a trouvé des petits mots qu’il lui avait écrits pour la remercier de tout ce qu’elle faisait pour lui bien qu’il ne les lui ait jamais donnés. Je trouve cela beau. Il arrive, effectivement, qu’après le départ que quelqu’un on trouve une chose ou une autre qui nous apporte une réponse, même des mots rapportés par une personne et c’est une sorte de message direct. Je trouve cela magnifique.

Elle se dit contente d’avoi pu parler avec son mari de façon profonde et claire avant son départ ; elle l’a remercié tant pour les bons que pour les mauvais moments. Elle se dit que tout cela fait grandir. Je lui dis alors que son mari lui a fait le cadeau de partir avant pour qu’elle puisse se retrouver. Je vois alors un sourire, un joli sourire, un sourire plein de lumière, se dessiner sur les lèvres de la dame, laquelle dit : « Je n’avais pas pensé à cela ». Je me dis, voilà pourquoi je me suis arrêtée aujour’hui pour parler avec elle. Ce sont des idées que le monde d’ailleurs m’a transmises pour elle. Nous nous séparons dans une sorte de félicité.

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Histoire d’une bise et Jacques de Montmollin

Cette histoire est aussi une suite de celles de l’Entreprise horlogère Froidevaux S.A et de « Une montre parmi les affaires d’André ». ce qui fait que Jack est de la partie. C’est lui qui m’informe que Jacques de Montmollin se trouve au foyer de l' »Armée du Salut ». C’est fabuleux car c’est à Neuchâtel même et je vivais avec un sentiment de déception de n’avoir pas pu parler avec Jacques avant que lui ou moi ne quitte ce monde ! J’avais entendu dire qu’il ne voulait voir personne, mais je me suis dit que j’allais tenter le coup. J’y suis allée et cela s’est bien, très bien passé. Quelle chance !

Ma vie a été longtemps une suite d’événements enchaînés les uns aux autres. Jamais de façon consciente, tout simplement les choses se suivaient les unes les autres ou ouvraient des portes par-ci et par-là. Puis est venue une drôle de période où j’ai vu mon champ se retrécir. Depuis un bon moment, les choses reprennent vie, un cours, comme avant.

L' »Armée du Salut ». J’avais une jolie relation avec l’une des directrices précédentes, Heidi Vogel, et cela facilite en quelque sorte ma présentation mais un infirmier me dit que M. de Montmollin ne désire voir personne et qu’ils respectent sa volonté. Bon, me dis-je. Puis, je vois une employée de maison et lui demande si elle sait quelle est la chambre de M. de Montmollin. Elle me dit qu’elle va me conduire jusqu’à chez lui. Elle entre dans sa chambre et lui dit qu’il a une visite. Il est d’accord même s’il ne sait pas que c’est moi. Il me voit, je lui dis « salut » et il me répond « salut ». Je sais qu’il sait que je sais qu’il m’a reconnue. Nous sommes en pays connu.

Je lui raconte que c’est Jack Froidevaux qui m’a renseignée sur l’endroit où il vivait. Jacques me dit que Jack sait beaucoup de choses et qu’il est très discret. Je ne peux que confirmer et profite pour lui dire qu’il le salue bien. Jacques est content. Je ne sais plus ce que je lui dis, mais au moment de partir, j’ai le courage de lui dire que j’aimerais bien le revoir s’il est d’accord, il dit oui avec la bouche et avec la tête – ces deux moments sont restés gravés en moi comme une photo – il a un petit sourire. J’ai envie de lui faire la bise, mais nous n’avons jamais été proches. Il a toujours eu un air un peu distant, j’ai peur de le brusquer puisqu’on dit qu’il ne veut voir personne et m’en vais. Je suppose que le fait d’avoir été acceptée dans son environnement a fait que j’ai oublié de lui poser la question pour laquelle j’étais venue, le prénom de Mado, la femme d’Ernest Grize.

J’ai rendez-vous deux jours plus tard avec la responsable des animations. J’aimerais proposer une activité aux pensionnaires. Je ne pense pas que Jacques veuille venir ; à mon avis sa tête va bien mais physiquement il est plutôt sur un départ désiré. Je dois dire que le fait que Jacques se trouve dans le home de l' »Armée du Salut » me permet de réaliser le désir que j’avais d’offrir un cours à des personnes du quatrième âge, à celles qui ont construit le Neuchâtel dont j’ai hérité et qui se trouvent sur leur dernier trajet, pas toujours heureux.

Le mercredi, l’animatrice prend note de mes propositions. Elles seront examinées le lundi suivant. En attendant, je suis introduite dans la chambre de Jacques. Il me salue aimablement. Je lui raconte que j’ai trouvé la montre d’Ernest parmi les affaires d’André et lui demande de me donner le prénom de Mado. Madeleine, dit-il. J’ai ma réponse et je suis contente.

Je lui demande où il en est de son livre (j’avais entendu dire qu’il écrivait un livre sur tout ce qu’il avait fait dans la culture). Je ne sais plus comment les choses se sont liées, mais il dit que sa vie n’a plus d’importance et que son livre non plus. Je lui dis que je ne serais pas là sans tout ce qui avait été fait auparavant. « Tu as raison », a-t-il répondu.

  • Où est le livre ? lui ai-je demandé.
  • Il n’y a pas de livre, dit-il.
  • Tu n’as pas de manuscrit ? Tu n’as rien écrit ?
  • Non, tout est dans la tête.
  • Je t’aurais aidé à écrire. J’écris plutôt bien, sans fautes et fais de la révision de textes. Mais, tu pourrais me dicter des histoires et on pourrait publier des pages de la vie culturelle neuchâteloise sur ma plateforme puis je te lirai et tu corrigeras.

Jacques est d’accord et je dis que je vais repasser. Comme notre relation a trouvé un terrain d’entente, qu’on s’est rapprochés, je lui fais une longue bise en le prenant dans mes bras. Il répond et quand je m’éloigne, je vois qu’il bouge la tête en quête de la seconde et troisième bise. Instantanément il se passe plusieurs choses : il se rend compte que je n’y avais pas pensé, je me rends compte qu’il attendait autre chose, cela se passe en silence et chacun comprend l’autre. On se quitte avec le sourire et je lui demande s’il veut bien faire une sortie avec moi. Il dit que oui, mais que je dois lui passer un coup de fil avant. Je trouve la chose rigolote, mais lui donne mon accord.

L’animatrice me dit que depuis qu’il est au home, il n’a fait que deux sorties, il les a faites avec elle et ils sont allés restaurant « Le Cardinal ». Il y a bu un verre de vin et mangé une tarte au citron qu’il aime beaucoup. Je lui dis que je pourrais faire la même chose. On convient que deux jours plus tard, vendredi 14 juin, je viendrais le chercher.

Comme promis, je téléphone à Jacques et lui dis que dans l’après-midi, j’irai le chercher. On sort accompagnés d’une amie qui passe quelques jours chez moi. L’animatrice avait oublié de laisser une enveloppe avec des sous pour sa consommation et je n’avais pas d’argent sur moi. Je suis un peu inquiète, car sachant que Jacques ne veut voir personne, il n’a peut-être pas envie de traverser la moitié de la ville en chaise roulante pour aller à la banque. Je lui chuchotte à l’oreille si cela le dérange qu’on aille à la banque. Il me répond que je peux faire comme bon me semble. Quelle chance ! De plus, il fait beau, très beau. Il le dit aussi.

La première chose que Jacques nous dit lorsqu’on est sur le troittoir, à mon amie et à moi, c’est : « Si vous saviez comme j’aime cette ville ! J’ai beaucoup, beaucoup fait pour Neuchâtel. » Je trouve tout cela intéressant et me dis que j’aurai bien des choses à écrire. Je suis en joie !

Nous allons à ma banque, ma chère banque chère (autre article que j’ai écrit). On traverse la ville qui est assez animée. Jacques avait dit qu’il savait que c’était une journée spéciale. Il n’en a pas dit plus et moi non plus. Chacun savait que l’autre savait. Il y a des choses dont on est au courant quand on est dans le mouvement de la vie. Alors, la grève des femmes, on ne l’ignore pas !

Quand on arrive à la banque, on va à l’automate. Jacques dit que cela fait des mois qu’il ne va plus à la banque et qu’il ne sait pas comment fonctionnent ces appareils. Je lui dis que la prochaine fois qu’on viendra, je lui montrerai comment tirer des sous sur mon compte. Je lui demande par où il veut passer et si cela lui dit d’aller voir la manifestation des femmes vers l’Hòtel de ville. Il est d’accord. Il y a foule et avec la chaise roulante, je me demande si cela ira, puis je décide d’y aller et de me faire entendre lorsqu’il y a attroupement. Je dis plusieurs fois « Le Roi passe! », les gens s’écartent aimablement et une fille dit « Vive le Roi ! ». Jacques a entendu. C’est magnifique.

Nous arrivons au Cardinal. Je demande à Jacques s’il a une table particulière et il dit que cela lui est égal. On s’assied près de la sortie sud. La serveuse reconnaît Jacques, le salue et lui dit qu’il leur a manqué. Je ne me rappelle plus sa réponse, mais elle est du même genre. Il commande un verre de vin dont il a lu une réclame près de la fenêtre. Je lui demande s’il veut une tranche de tarte au citron et il dit « oui ». Je me dis tout de suite que j’aurais dû m’assurer avant qu’il y en avait afin de ne pas risquer une déception. Heureusement qu’il y en a. Jacques a tout mangé, jusqu’à la dernière miette.

Pendant ce temps, il me raconte des petites choses sur la vie culturelle, j’enregistre sa voix. Je lui dis que j’écris… Il m’interromp pour dire que je le lui en ai parlé. Je dis alors que l’on pourrait publier ses histoires sur ma plateforme et que je pourrai la lui montrer au home. Il est d’accord. Je suis contente, très contente.

Jacques dit qu’il aimerait rentrer. Il choisit de passer par la rue du Seyon. Pour monter au cinquième étage du home c’est toute une histoire, car s’il y a deux ascenseurs, seul un a la capacité de recevoir une chaise. Je passe un bon moment à essayer de faire que ce ne soit pas l’autre ascenseur qui s’ouvre jusqu’à ce que je trouve une combine et le dise à Jacques qui trouve cela drôle. Pendant ce temps, Jacques m’a raconté que l’autre jour il avait eu une douleur tellement forte au flanc droit, tellement forte qu’il avait fini par en rire ! Je trouve cela remarquable et regarde Jacques encore plus chaleureusement. On est du même monde.

Arrivés au cinquième étage, on va à une table pour qu’il puisse voir ma plateforme, son genre, ses rubriques et surtout l’endroit où ses « pages d’histoire » vont figurer. Il trouve tout cela très bien. Nous nous faisons la bise, trois longues bises, comme la première que je lui avais faite, mais trois parce que c’est le rituel et parce qu’on en a envie. Il dit qu’il me remercie pour ce moment et part dans sa chambre. L’animatrice m’avait dit que ses deux sorties avaient duré chacune 1 h 15 et qu’il était rentré fatigué. La nôtre a duré deux heures, mais cela avait été un jour très spécial.

Les deux jours suivants, je promène l’amie qui est en visite chez moi, je l’amène au port pour qu’elle fasse un tour en bateau. Cela fait des années, réellement, que je ne vais plus sur le quai ni me promener en bateau, ce que je faisais avec André, feu mon ami… Je me dis que je pourrais amener Jacques et que nous pourrions faire une promenade en bateau. Soudain, j’ai plein d’idées pour des promenades, ce n’est pas si compliqué.

J’ai téléphoné à Jack et lui ai tout raconté. Il trouve qu’il y a une ouverture et que c’est de bon augure.

Le lundi, je sais que le personnel du foyer de « L’Armée du Salut » discute de mes propositions et m’attends à une réponse dans l’après-midi. J’ai envie d’aller voir Jacques, mais je ne veux pas non plus m’imposer ni forcer les choses. Mardi, toujours rien. Alors, je téléphone et on me dit que Jacques a quitté ce monde, paisiblement à 02 h. Je ne comprends plus rien. On avait des projets….

Je me dis que je dois le revoir une dernière fois. Je ne vais pas tout raconter, mais il y a eu des miracles du genre « Joséphine, ange gardien » qui ont fait que je l’ai revu et que je lui ai fait trois autres bises qu’il emporte dans l’autre monde.

Mais, même si Jacques ne pourra plus me raconter ses histoires directement, je pourrai en transcrire une partie, car Mado, Madeleine de son prénom de baptême, m’a dit qu’elle a deux ou trois choses qui pourraient me rendre service en ce sens. Magnifique ! De plus, même si Mado habite dans un endroit peu accessible, comme elle le dit, Roger Peeters, le cameraman qui a fait son apparition dans ma nouvelle vie, m’a proposé de m’y amener. Je ne peux que répéter que c’est magnifique !

J’ai cherché, en vain jusqu’ici, une photo où Jacques soit coiffé…

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Histoires de départ au ciel.1

Un mari s’en va au ciel.

J’ai rencontré une amie qui m’a raconté les merveilles qui se sont passées alors que son mari se préparait à aller au ciel. Dans ce genre d’histoires, il y a toujours de l’amour, un amour qui dépasse les frontières personnelles.

Mon amie, Maria, avait eu deux filles d’un premier mariage. La communication avec son premier mari avait disparu depuis 29 ans. Les filles, quant à elles, avaient gardé le contact avec le papa. Peu avant le départ au ciel de leur beau-père, avec qui les relations avaient été très bonnes, elles lui disent qu’elles aimeraient qu’il rencontre leur père. C’est un moment fort.

C’est le genre de miracles que fait une personne alors qu’elle ne bouge pas de son lit. Le fait est que les deux hommes se sont bien entendus et se sont dits qu’ils auraient très bien pu lier amitié. La femme du papa des filles, qui comme par hasard travaille dans le domaine médical, a averti Maria que son mari n’en avait plus pour très longtemps et qu’il faudrait qu’il entre à La Chrysalide, établissement qui accueille les personnes qui partent au ciel et qui ne peuvent rester à la maison.

Pendant trois jours et trois nuits la famille au complet, Maria, ses deux filles, leur papa et la femme de ce dernier, ont veillé Raymond.

Chacun donne des preuves d’amour comme il peut. Maria a dit pendant trois ans à son mari malade : si tu pars, tu m’avises ! Tu ne vas pas partir comme cela ! À quoi, il donnait son accord. Les derniers jours, sous morphine, Raymond ne pouvait plus s’exprimer, mais Maria sentait des mouvements très subtiles, quand elle lui prenait la main, qui lui faisaient comprendre que son mari l’écoutait.

À un moment donné, Maria s’est absentée quinze minutes et il s’en est allé. C’était son choix et Maria l’a compris. C’est magnifique !

Dans ces moments uniques, il y a des mots, des attitudes qui n’attendent que l’occasion pour s’exprimer. C’est ainsi que l’une des filles a dit à Maria qu’elle ne l’aurait jamais crue capable de s’occuper d’un proche avec autant d’attention et d’affection, personne d’autre non plus ; pas même Maria elle-même. Elle se dit que cela a été un privilège d’avoir pu accompagner son mari jusqu’à son départ, ensemble, avec une famille comme ils n’en avaient pas eue. Un vrai cadeau au moment où il y a le départ !

Maria a été très touchée par le comportement du personnel de la Chrysalide. On imagine que dans des hôpitaux, EMS, établissements donnant des soins palliatifs, le personnel est à l’écoute des patients… La rentabilité passe aussi par là et le reste est mis de côté. À la Chrysalide, le personnel a traité Raymond avec un soin et une attention particuliers ; toutes les deux heures, le personnel entrait pour savoir comment il allait et lui disait : bonjour Monsieur, on va vous faire tel et tel soin, ne vous inquiétez pas, on ne va pas vous déranger.

En effet, le personnel soignant sait ce qu’il va faire, mais pas le malade, surtout s’il est dans le coma. L’esprit est là et comprend tout, mais pas le corps qui est pris par surprise lors de certaines manipulations. On le voit dans les EMS. Le pensionnaire est assis sur une chaise roulante, l’infirmier veut l’amener à la salle à manger, par exemple, et prend la chaise par les poignées qui se trouvent derrière sans le moindre avertissement. Et si le geste est compris quand l’infirmier se présente par devant et annonce ce qu’il va faire, c’est surprenant, voire inquiétant pour le pensionnaire quand l’infirmier vient par derrière sans s’annoncer et le bouge.

Malgré le service et la qualité des soins, l’État de Neuchâtel va fermer l’établissement en question pour des raisons d’économie. Un service de ce type sera ouvert dans un hôpital… Rentabilité… Je me dis que la vraie rentabilité va dans un autre sens, avec d’autres valeurs.

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