Les histoires de Roger Peeters.2

Ces histoires, Roger me les raconte quand on est dans mon studio de danse la Cave perdue. Ce studio a déjà une histoire et continue à s’enrichir d’histoires. Parfois, quand je regarde ma Cave perdue, j’ai l’impression qu’elle vit.

Roger a tout le temps quelque chose à raconter. Cette fois-ci, je l’invite à venir voir ma dernière danse. C’est une version en solo d’une danse chorégraphiée pour deux personnes. Le rythme de la danse change car je n’ai plus de partenaire avec qui avoir un « dialogue » dansé ; j’ai dû repenser le tout afin d’avoir une relation directe avec le public. Roger arrive et me voyant en costume dit tout de suite : « Vous avez un nouveau costume !  » C’est cela qui est plaisant avec lui, il est tout le temps présent, même si mille et une idées traversent sa tête.

Je lui présente ma danse et comme il est le premier spectateur à la voir, cela crée en moi une certaine tension et flûte ! je rate la fin, le moment clef de la danse pour ainsi dire. Je dois me trouver à un endroit précis pour faire un effet et comme je n’ai trouvé tous les pas de la chorégraphie que la veille… c’est un peu frais dans mon corps. Je réfléchis et propose à Roger de lui remontrer la danse comme si c’était la première fois. Il dit oui. Je refais le tout, c’est encore mieux que la première fois et je réussis mon coup d’effet. Roger applaudit et me demande : « Comment avez-vous fait ? » C’est bien Roger, il veut tout savoir ! Je lui réponds que je me demande si je n’utilise pas parfois ma tête comme la sienne : « J’ai modifié deux trajets qui on fait que la suite s’est déroulée comme prévu ». Je suis contente parce que j’ai réussi et Roger est content parce qu’il sait comment j’ai fait. Voilà comment deux personnes peuvent être contentes avec une même danse.

Ensuite, on passe aux réjouissances de ce monde !

Framboises = Roger

Roger aime les framboises et j’aime servir mes invités dans de jolis plats arrangés à ma façon. J’ai mis les framboises sur une assiette transparente, accompagnées de fromage et le tout sur une assiette dorée qui vient de mon dernier voyage à Paris.

L’assiette dorée. Je dis à Roger que j’aime les reflets dans les miroirs ainsi que ceux dans l’assiette que je lui ai préparée – on la voit mieux ici. Roger fait le lien avec la conversation de l’article précédent où l’on avait dit que la valeur de l’or était due à sa rareté et rappelé que le pyramidion de l’obélisque en l’honneur du président G. Washington avait été revêtu d’aluminium, matériau à l’époque rare et dès lors très cher. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et l’or parade en tête pour le commun des mortels, mais en réalité il y a encore trois autres devant : l’ osmium dont la résistivité est extraordinaire – l’iridium qui a une grande résistivité à la chaleur et le rhodium qui a une grande dureté et durabilité. Ce sont des métaux très rares. À propos des reflets, je dis à Roger que je suis allée voir les nouveaux locaux du Figaro à Paris et que je suis tombée en extase devant le plafond des escaliers de l’entrée.

Entrée du Figaro à la rue de Provence, Paris

Entrée du Figaro : tout s’imbrique si naturellement que l’image fait une unité. Le reflet me transporte dans des dimensions absolument extraordinaires, je suis dans une sorte d’extase. Roger a été émerveillé et se dit également inspiré. Je suis ravie. Il ajoute qu’il a beaucoup de respect pour les architectes français. Ils arrivent à allier les styles historiques avec des éléments modernes. Ici le plafond est fait d’acier inoxydable martelé et poli, ce qui donne ces effets absolument remarquables.

Sujets traités lors de la dégustation des fraises-fromage. Roger s’intéresse à tout, à l’histoire, à l’art, à la musique, à la littérature, aux sciences, aux découvertes. La différence est qu’il cherche à savoir et dans mon cas, les choses se présentent, je les prends et les découvre peu à peu. Alors, cette fois-ci on parle vocabulaire allemand, physique, horlogerie et mathématique.

Gönnen. Roger a dit qu’il y a des moments où on peut se réjouir pour quelqu’un parce qu’il lui arrive une chose de bien et que cela se traduit par jemandem etwas gönnen en allemand et iemand iets gunnen en néerlandais (pour mémoire : Roger est néerlandais). Il a été étonné de constater que ce verbe n’existe pas ni en français ni en espagnol ni en anglais. Je lui ai dit que je n’ai jamais vu ce verbe dans le vocabulaire allemand appris à l’école mais que cela m’arrivait d’être heureuse pour quelqu’un et qu’en général je dis que je suis heureuse pour la personne tout comme si c’était à moi que cela arrivait. Je trouve que c’est beau d’être heureux pour les autres.

La gravité. On le sait, la gravité est une attraction de corps dans notre univers. Roger me dit que la lumière voyage à une certaine vitesse, vitesse qui est la même que celle de l’électricité, de l’électromagnétisme et qu’il vient d’apprendre, du haut de ses 55 ans, que la gravité se déplace à la même vitesse que les trois autres. Il râle parce qu’on aurait dû le lui dire à l’école ! Il me dit que la lumière du Soleil nous parvient en 8 minutes et celle de la Lune en 1,8 seconde, et, par conséquent, la gravité entre la Lune et la Terre se fait sentir en 1,8 seconde également. Lorsque j’entends Roger me dire qu’il y a cette interaction entre la Lune et la Terre en une seconde, j’ai l’impression que la Lune s’adresse à moi, que je vois et sens presque le déroulement de l’interaction. Une chose c’est le savoir intellectuel et une autre c’est le vivre. Roger profite pour me dire que le problème des sciences, comme la mathématique, est de rester abstraites. J’abonde dans son sens et lui dis que le professeur que j’ai eu dans cette matière à l’université avait commencé par donner des explications et des cas précis puis, comme il lui restait peu de temps pour finir le programme, avait dit qu’il ne donnerait plus d’explications. Alors, on a avalé les formules.

Il faut ajouter mentalement le trajet de la Terre autour du Soleil, quant à la Lune, on sait qu’elle montre toujours la même face.

Encore la gravitation. Je trouve fascinants tous ces phénomènes physiques. Ainsi, la gravitation est le résultat de deux corps qui s’attirent avec une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de leur distance. J’aimerais pouvoir entrer dans le calcul pour le comprendre. Ce sera dans une autre vie. Pour le moment, la Lune me fait cadeau de la sensation.

Les fabriques horlogères à Neuchâtel dans les années 1960 – 1975. Je fais une recherche sur les horlogers, les fabricants, de cette époque. C’est en lien avec feu mon ami André Oppel, graphiste et directeur artistique du Centre culturel neuchâtelois et René Froidevaux, fabricant horloger, pour lequel il avait travaillé. Dans ces années, il y avait foison de producteurs horlogers, puis la crise est venue. Je voudrais savoir où il y avait des fabriques et des horlogers dans ma ville à ce moment-là. Je n’ai pas fini le tableau mais je sais que cela intéresse Roger et surtout je me réjouis de ses commentaires. Dans les années 1960 – 1965 il y a environ 130 entreprises horlogères. Il me dit qu’actuellement il doit y avoir 8 marques (oui, on peut avoir 130 entreprises horlogères mais certaines ne font pas leur propre montre, elle peuvent faire des composants). Roger dit que si beaucoup d’entreprises font le même travail, il n’y a pas d’économie d’échelle (c’est-à-dire que les coûts fixes sont élevés pour chaque entreprise et que la production est limitée ; on le sait, la diminution du coût de production augmente le profit). Toutefois, il y a un avantage dans telle situation : c’est celle de trouver des pièces de remplacement facilement puisque beaucoup de gens font la même chose alors que lorsqu’il y a deux ou trois grosses entreprises, les éléments, les pièces de rechange, ne sont plus interchangeables, on est dépendant de la marque. Roger fait d’autres remarques ; elles feront partie de l’article consacré à ces horlogers. Mais disons déjà que lorsque Roger se lance dans une aventure, il a déjà tout calculé, sait ce dont il a besoin etc. alors que chez moi, je prends un sujet, je vis avec lui un moment et ensuite surgissent les questions.

A very math trip. Je dis à Roger que je suis allée voir le spectacle A very math trip à Paris et que je l’ai trouvé très intéressant. J’ai acheté le livre et l’auteur est d’accord pour que je lui envoie les coquilles que j’y trouve. J’apprends, en lisant le livre que si le jeu de cartes a 52 cartes c’est parce qu’il y a 52 semaines dans l’année et les quatre couleurs correspondent aux quatre saisons ! Vous auriez dû voir la tête de Roger quand je lui ai raconté l’affaire. Il a commencé à compter les cartes, comme s’il les voyait, et finalement est arrivé au nombre de 52. Il a dit : « Ah, oui ! ». Là, j’ai vu qu’une nouvelle donnée (celle des cartes de jeu) avait trouvé une place ordonnée dans son cerveau.

J’ai envoyé la photo des framboises à Roger et il me répond qu’il « considère les framboises comme le fruit le plus élitaire pour plusieurs raisons :

Album : Asterix le Gaulois
  • lorsque j’étais enfant, je n’ai vu de framboises que dans mon jardin ;
  • la framboise a une très petite taille (par rapport à une banane, un ananas) ;
  • elle est très fragile et il faut la consommer tout de suite ;
  • dans la BD Asterix le Gaulois, Panoramix et Obelix sont prisonniers des Romains et le premier demande à un centurion de lui apporter des framboises pour préparer la (fausse) potion magique qui rend transparent alors que ce n’est pas la saison. Vous voyez, dans le dessin ci-contre, le pauvre centurion qui ramène finalement les fraises.

Je vous laisse vous souvenir de la fin ou d’aller la lire… C’est drôle et cela nourrit bien Roger !

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Les effets de l’exposition de Mandril à la galerie 2016 à Hauterive : Luc Michel l’encadreur à Paris (en cours)

On le sait, Mandril est un dessinateur accompli et ses oeuvres font autant preuve d’imagination que de travail. L’exposition me donne l’occasion de voir plusieurs de ses oeuvres en un seul lieu.

Article en cours parce qu’il me manque des explications sur le tableau qui suit. J’attends que Mandril ait du temps…

Le roi des escargots (photo de Mandril)

Le roi des escargots. Ce qui m’a attirée, c’est la tête mais surtout l’effet trois dimensions comme si j’étais en présence d’une statue en cuivre. Chaque détail est si soigneusement fait que j’ai l’impression de pouvoir me promener dans les motifs et sentir le cuivre repoussé. Je n’ai vu que la tête, avec ses deux faces : celle de gauche si puissante, si sûre de savoir où elle va ; quant à celle de droite, elle me fait penser aux proues de bateaux. Cela peut aussi être le regard vers le futur et vers le passé. Je reste un moment devant la photo-tableau.

Mandril arrive et m’explique : « C’est le pommeau d’une épée de (époque ?) Napoléon iii. et un ami, Luc Michel, encadreur à Paris, m’a fait le cadre en bois de cèdre correspondant tout à fait à l’époque napoléonienne. » Je reste en admiration et comme je vais à Paris, je lui demande si je peux avoir son adresse. Il me l’enverra via WhatsApp.

Adresse de l’atelier (je me sers du cadre doré de Luc Michel dans cet article. C’est ma façon de lui dire qu’il m’inspire).

Mars 2024, Paris et l’atelier. Je vais à l’atelier qui se trouve à la cité internationale des arts, près de l’hôtel de Ville. Luc Michel n’y travaille plus. Je suis reçue par M. Schäffer, lui aussi encadreur, qui l’a repris il y a plus d’une année ; il fait de la restauration. Il me raconte que son père et Luc Michel avaient fait des expositions ensemble et donc je suis toujours dans un atelier d’encadrement et la tradition continue. J’aime les endroits où les histoires se perpétuent.

Luc Michel. Finalement, Mandril reprend contact avec l’ancien encadreur et j’ai un numéro de téléphone. Je l’appelle. Bon, c’est un peu compliqué de dire à quelqu’un au bout du fil que nous ne nous connaissons pas mais que cela m’intéresse de le rencontrer. Finalement, on se donne rendez-vous dans un bar près du pont Marie-de-Médicis, dit pont Marie. Je devrai le rappeler quand je serai dans les environs parce que je n’ai pas compris où se trouve le lieu du rendez-vous.

Comme au cinéma. Mon téléphone ne fonctionne pas en France et je dois demander de l’aide aux passants. À un moment donné, je rencontre un groupe de personnes et l’une d’elles appelle le monsieur. On s’explique, on cherche le nom des rues que Luc Michel donne de l’autre côté du fil, je ne vois pas d’issue et tout à coup l’une des personnes voit un monsieur passer avec son téléphone à l’oreille et l’arrête. C’est lui ! C’est une vraie scène de cinéma. Je ne l’aurais pas vu. Je suis très reconnaissance à ces personnes et pars avec Luc Michel vers le bar où le patron se réjouit de le revoir après longtemps.

Cadre. Comme le cadre fait par Luc Michel est le début de cette histoire, j’encadre les images avec le cadre du tableau de Mandril.

La première idée qui me vient à l’esprit c’est de demander au patron du bar la connexion Wifi afin de téléphoner à Mandril.
Signature de Luc

Conversation entre Luc Michel et Mandril. Comme on le voit, Luc Michel a l’air très content de parler avec Mandril (on a de la chance de tomber sur un moment où ce dernier n’est pas occupé !). En fait, Luc a un caractère heureux et rit à la première occasion. Je lui demande quel est son nom et il me dit : « Luc » – « Et ‘Michel’ ? » – c’est le nom de mon arrière-grand-oncle, mort à la guerre. Je voulais lui rendre hommage. Cela en dit long sur le personnage ! Puis, Luc me raconte sa vie en abrégé : il est né en 1946. Sa mère a travaillé dans l’imagerie sanctuaire ; elle peignait des santons à la main. Il est entré dans l’atelier à l’âge de 16 ans et a aussi peint des santons ; c’est sa mère qui l’a dirigé vers l’encadrement. On fait le calcul et Luc me dit que pendant 51 ans il a travaillé en tant qu’encadreur. Je demande à Luc de me donner un autographe. Je l’encadre à droite.

Meilleur ouvrier de France. C’est en 1997 que Chirac, alors président, l’a nommé meilleur ouvrier de France. Luc Michel a beaucoup aimé Chirac et moi j’ai une grande admiration pour cet homme. Cela nous unit.

Carte de meilleur ouvrier de France, 1997. Carte valable à vie !

1997 – Meilleur ouvrier de France, suite. Je suis en admiration totale ! Il me raconte qu’il a mis trois ans pour ce concours qu’il a gagné avec un cadre style Louis xiv avec des tiroirs. Je lui demande s’il a des photos. Mais, non, sa vie professionnelle a mal fini et son appartement est trop petit pour y mettre ce qu’il avait. Il explique qu’il a attrapé la covid, qu’il a dû rester un mois à l’hôpital et qu’il a mis du temps à se remettre. Ensuite, le toit de sa maison a brûlé et à la suite de manipulations inappropriées pour le sortir de la maison on lui a abîmé le dos, raison pour laquelle il sort peu, mais il commence à reprendre du poil de la bête. Il a coupé le lien avec ses clients. Il a tout vendu et laissé dans son atelier la dernière cisaille (machine de coupe à deux lames) achetée chez Rigo ! Mais, une fois de plus il tourne la page et me raconte que les copains du syndicat des encadreurs, le SNDE, qui lui non plus n’existe plus et dont il a été l’un des derniers membres, lui avaient offert lors de son diplôme de meilleur ouvrier un chien dalmatien qui l’a accompagné durant 17 ans. Il l’a incinéré dans une très belle boîte en bois (« Oh, elle était belle ! » s’est-il exclamé). « Et, il s’appelait comment ! » demandé-je. – « Mof » – « Heu… » – « Mof, Meilleur ouvrier de France ! » et il a éclaté de rire.

6 mars 2020 – Luc dans toute sa splendeur ! Mandril a gagné une résidence d’artiste cette année-là à Paris et a rencontré Luc avec qui il a traité. Voici Luc dans son atelier du temps où les affaires marchaient bien. On voit l’ordre qui règne dans les murs et la créativité sur la table de travail. C’est magnifique !

L’encadreur encadré !

L’histoire devant moi. J’ai l’impression que l’histoire est devant moi. Malgré les périodes difficiles, Luc a gardé son caractère heureux, c’est une chance ! Il me dit que la prochaine fois que je viendrai à Paris, on se revoit. Je le remercie et lui dis que le cadre fait pour Mandril est très beau (après la conversation, Mandril a envoyé la photo qu’on voit au début de cet article) et qu’il inspire des gens. Sans lui, nous ne nous serions pas rencontrés. Nous sortons du café ensemble et comme il marche lentement, au moment où on traverse une rue, des voitures klaxonnent, c’est alors qu’il sort l’expression :

Il n’y a pas de meilleure fin pour cet article !

Le tableau de Mandril. Je le reprends car en relisant l’article, je me dis que le sujet se prête bien à toute cette histoire du passé, du présent et du futur…

Liens pour d’autres histoires :

Conversations à Paris.6

J’aime Paris. Quand on aime quelqu’un ou quelque chose on n’a pas besoin d’expliquer. Lors de mon dernier séjour, j’y ai rencontré des situations qui ont soulevé mon admiration ou qui m’ont fait rigoler.

No 1. Dans la mercerie Mes folles de soeurs. À chaque séjour à Paris, je vais au quartier des tissus et merceries au quartier du marché de St-Pierre, aux pieds de la Butte Montmartre. J’y trouve toujours quelque chose pour réparer ou faire mes costumes et accessoires. Cette fois-ci, j’avais besoin de donner une autre allure à un linge hérité de feu mon ami Freddy Landry, l’homme de cinéma. J’ai trouvé ce qu’il me fallait et aussi d’autres choses pour d’autres réparations. Au moment de payer et de prendre mes rubans et élastiques, je me suis dit que j’allais les enrouler et pas les laisser mettre en boule comme on fait de nos jours dans les magasins. Je commence et la caissière m’aide. On a de la chance, le magasin va fermer et il n’y a pas beaucoup de monde. J’avais une dizaine d’articles, je paie, remercie la caissière et lui dis qu’elle est une personne soigneuse puis m’en vais.

Je suis dans la rue en direction d’un autre magasin de tissus lorsque j’entends : « Madame, madame ! » Je sens que c’est pour moi, me retourne et vois la jeune caissière qui court vers moi avec un sourire et le ruban… le ruban pour lequel j’étais allée dans le magasin. Mon Dieu ! Pour une raison qui m’échappe, il était resté sur le comptoir. J’ai eu de la chance que la jeune femme le voie parmi tous ses articles, qu’elle soit réellement présente à son affaire et ne fasse pas « seulement » son métier. Je la remercie mille et une fois. Le temps passe et je n’ai plus le temps d’acheter les tissus que je voulais. Cela n’a aucune importance, « mon » ruban prime.

Le lendemain, je dispose, par miracle, d’une heure pour retourner dans le quartier et choisir mes tissus. Je me dis que quand même, la jeune caissière mérite une fois de plus mes remerciements. Qu’aurais-je fait de retour chez moi sans le ruban ? De plus, ce n’est pas pour réparer n’importe quoi. Alors, je me dirige vers le magasin, imagine la scène du remerciement et, ne me demandez pas pourquoi, me dis que la jeune femme va m’offrir un bouton. J’entre dans le magasin et vais vers la caisse. Mince, ce n’est plus la même ! J’explique que je voulais remercier… et tout à coup j’entends une voix qui dit : « C’est moi, c’est moi ! ». Quelle joie chez elle et chez moi. Je lui explique l’importance du ruban et la remercie encore une fois (au moment où je m’adresse à elle, elle se trouve dans le département des rubans et des boutons en train de faire quelque chose). Tout à coup, elle ajoute : « Tenez, c’est pour vous ! » en me tendant un bouton. Là… je n’en reviens pas et lui dis que je savais qu’elle allait me donner un bouton sans que je puisse l’expliquer. Elle se demande comment j’avais pu deviner. « Il est très joli. Vous en avez d’autres ? » La jeune femme m’en tend un autre pareil. « Je voudrais en acheter quelques-uns » – « Eh bien, c’est que pendant ma pause, j’en fabriquais…  » – « Ainsi vous avez une pause-travail ? » Tout le monde autour rit avec nous. – « Pensez-vous qu’on pourrait les vendre ? » me demande la jeune femme. – « Certainement ! » – « Alors, je vais en faire ! » Je lui réponds que lors de mon prochain séjour, je repasserai.

Voici, sur mon bureau, les deux boutons décorant le vélo qui, symboliquement, me mène à Paris.

Avril 2024, je retourne dans le magasin ! Je vais vers la caisse, mais vois un monsieur à la place de la caissière. Je continue mon chemin et tout à coup j’entends qu’on m’appelle. C’est la jeune caissière-vendeuse-fabricante de boutons ! On est contentes de se revoir. Je lui demande si le monsieur est le patron et c’est le cas. Je vais vers lui et il répond à mes questions : le magasin existe depuis une dizaine d’années et il s’appelle Mes folles de soeurs parce qu’il a trois filles et qu’il s’était dit qu’elles étaient ses drôles de soeurs ! En fait, il a créé ce magasin pour elles mais la vie a décidé qu’elles iraient vivre à (je n’ai plus en tête de la ville française où se trouve l’une d’elles)et les deux autres sont à l’étranger, aux États-Unis et en Irlande ! Mais, ajoute le monsieur, je suis toujours là. Je le vois discuter ensuite avec une cliente et lui expliquer qu’elle peut coudre un bouton sur la veste et l’autre sur l’écharpe qu’elle porte pour faire un certain effet. C’est un vrai patron, il connaît son métier et il donne des conseils avisés ! J’apprends aussi que la jeune femme qui m’a servie prépare un diplôme dans le domaine de la vente. C’est magnifique ! J’ai réussi mon passage dans le magasin. La prochaine fois, j’irai acheter des fils (sorte de lacets) que j’ai vus.

No 2. Au village d’Orsel, le magasin. Le temps est passé sans que je le voie, mais il est midi et il y a peu de monde dans le magasin. Je vois deux tissus qui me disent qu’il faut que je les prenne pour mes spectacles. Je tombe sur une vendeuse que je n’ai jamais vue. Elle me dit que cela fait deux mois qu’elle travaille dans le magasin. Elle coupe le premier tissu et à ma grande surprise, prend le temps de le plier. Elle fait de même avec le second. Je lui dis qu’elle est très soigneuse (à se demander si elle n’est pas cousine de la caissière de l’autre magasin) et elle dit : « Je n’aime pas quand on me roule les habits dans les magasins et donc je fais aux clients comme j’aime qu’on fasse pour moi ». Je n’en reviens pas. Je m’intéresse à la façon dont les gens font les choses, à la façon dont ils pensent et cette vendeuse est comme un miroir pour moi. Je la remercie profondément et lui dis que non seulement elle fait aux autres ce qu’elle aime qu’on fasse pour elle mais encore qu’elle le pense. C’est autrement plus profond. Lorsque j’arrive à la caisse, je dis au caissier que la vendeuse, en la désignant, est très soigneuse. Il a un regard de reconnaissance envers moi. Un autre vendeur, plus loin, plaisante et dit qu’on n’a jamais entendu dire quelque chose de pareil à son sujet et tout le monde rit.

No 3. Des terrassiers. Paris en traitement de beauté. Il y a plein de chantiers ces temps-ci et, par conséquent, près de mon hôtel aussi. Je monte sur un trottoir qui se fait un de ces traitements et observe la façon dont les ouvriers travaillent. Ils posent les grosses dalles, les enfoncent et les tapotent jusqu’à ce qu’elles soient à niveau, ce qu’ils sentent en passant la main d’une dalle à l’autre. J’admire. Je les félicite et un répond : » Si vous en voulez dans votre salon, vous n’avez qu’à dire, le patron est là ! », et de me le montrer assis sur un petit tracteur. Sa phrase met tout le monde de bonne humeur. « J’y penserai, merci ! » ai-je répondu en rigolant avec eux. J’admire cette sorte de répartie.

No 4. Chez Carrefour, rue Saint-Didier. Ici aussi la chose se passe à la caisse. Une dame, quelque peu âgée et marchant à l’aide d’une canne, arrive à la caisse. Elle doit payer une baguette de pain. La dame sort son porte-monnaie, fouille, refouille et rien. Elle prend un portefeuille, ouvre soutes les sections, recommence, rien. Reprend son porte monnaie, rien. Elle cherche dans son sac… rien. Ni billets ni monnaie. La jeune caissière observe sans que je puisse deviner un geste d’impatience et s’adresse à un jeune homme qui est dans les environs. La dame dit qu’elle va revenir le lendemain. Le jeune homme dit que cela ira. Depuis le fond de la queue, je dis que j’offre la baguette à la dame. Le jeune homme me réplique que c’est pour sa poche. « Alors, on va se battre ? » demandé-je. Il rit et dit qu’il n’en est pas question. Je paie et m’approche de lui. Je le remercie d’avoir agi ainsi. Je lui demande si son métier est d’être vendeur, je me dis qu’il doit être étudiant. « Non, répond-t-il, je suis, je vais devenir locataire-gérant » –– « Ah ? Vous êtes majeur ? », il a l’air tellement jeune… – « J’ai 28 ans. »

C’est ainsi que j’apprends de sa bouche que la grande enseigne Carrefour peut avoir des gérants qui habitent un local appartenant à Carrefour ou même être le gérant murs compris (ce sont des franchises). Il y a aussi cinq sortes de magasins selon leur fonction et localisation. Quant à la politique pratiquée pour trouver des partenaires, je la considère intéressante : la direction s’allie avec des personnes qui aiment le commerce, peu importe leur formation ou profession ou même l’âge. L’essentiel est de s’unir à des personnes qui aiment le commerce. Aimer le commerce c’est : avoir le sens du commerce, aimer avoir affaire avec les articles (qualité, présentation, utilité) et aimer les clients (les comprendre, leur rendre service). J’ai demandé à Florian Rolando, c’est son nom, si Carrefour avait augmenté le prix des produits en vue des jeux olympiques de cet été. « Non, nous ne procédons pas ainsi. »

Ce que je trouve fabuleux dans cette aventure c’est que la dame, pauvre en argent, m’a enrichie en savoir. Je la remercie et espère que le ciel lui enverra mon SMS. Elle a permis que je rencontre une caissière très aimable, un locataire-gérant très élégant dans ses manières et qui m’a appris comment fonctionne l’enseigne, sans compter le fait que je suis sortie avec des boissons à base de kombucha. Chez moi, je fais du kéfir et en voyage c’est compliqué de trouver de telles boissons. Je dois dire que j’en ai trouvé aussi chez Franprix. C’est un soulagement. Dommage que cela n’existe pas encore dans les grandes surfaces en Suisse. En tous les cas, je suis ravie de cette autre aventure parce qu’il y a divers éléments ensemble et ce, grâce à cette dame.

No 5 Du violon dans le métro. Je changeais de ligne de métro lorsque j’ai entendu le son d’un violon, un son si clair, si puissant que je me suis dit que j’allais voir qui jouait ainsi. Quand je suis arrivée, j’ai vu une violoniste. J’ai été surprise parce que ses attaques et le son m’avaient fait croire que c’était un homme. Magnifique ! À tel point que j’ai dansé un moment sur sa musique. Je l’ai remerciée et elle m’a remerciée. Je lui ai fait des compliments et elle m’a fait des compliments. Cela a été un moment hors du temps. Elle m’a donné la permission de la prendre en photo mais, dans l’émotion, j’ai oublié de lui demander son nom. Cependant, je lui ai demandé où elle avait appris à jouer ainsi : « À l’école, dans le pays de l’Est, en RRRoumanie » a-t-elle fini sa phrase avec l’accent roumain. « Doamne, nu se poate ! » ai-je répondu et on a continué en roumain. On s’est embrassées et le temps s’est arrêté. Elle m’a expliqué que cela faisait vingt ans qu’elle était en France et que lorsqu’elle joue dans le métro elle gagne 7 à 9 euros de l’heure. C’est tellement dommage pour un tel talent. Je lui ai donné ma carte de visite et espère qu’elle va m’envoyer un message pour que je puisse mettre son nom. Je viens de chercher sur la Toile et vois une Florence, je suis sûre que c’est elle. Si vous cherchez sur la Toile, tapez ici et vous l’entendrez. La prise date de plus de dix ans, mais je viens d’en trouver une photo de la musicienne qui date de cette année.

La politique de la régie autonome des transports parisiens (RATP), entité publique, envers les musiciens depuis 1997 : tous les six mois, elle organise une audition et choisit 300 musiciens qui peuvent jouer à l’intérieur du métro. Le cachet perçu par les musiciens leur appartient. Ici aussi, grâce à cette musicienne, j’apprends des choses sur le fonctionnement d’une société publique. Ce que j’admire chez elle c’est le fait que malgré sa situation, elle joue avec plaisir et cela se sent. C’est une belle leçon qu’on devrait garder à l’esprit et je ne peux que lui souhaiter un beau chemin de vie.

Un tel talent mériterait de jouer dans un orchestre symphonique !

No 6. Dans le train. En allant prendre le train de retour, j’ai eu un problème avec ma valise, ma belle valise rouge. Elle a perdu ses roues et j’ai dû me débrouiller pour la porter, parfois la traîner et donc continuer à l’abîmer. J’ai quand même rencontré des personnes qui m’ont aidée à la porter, car tout le monde sait que dans le métro il y a non seulement des voitures de métro mais aussi un nombre incalculable de marches ! Bref, j’entre dans le train et une dame m’aide à porter ma valise. Elle me dit qu’elle est arrivée à Paris par le même train que moi. Je la remercie et vais m’installer à une place. Plus tard, une jeune fille me demande, en me tendant une dentelle turquoise si elle est à moi. Je me demande comment cela se fait parce qu’elle ressemble furieusement à celle que j’ai achetée à la Mercerie St-Pierre. Je pose ma valise de façon à regarder le dessous et perçois… un trou. À force de la traîner… Je la remercie et me demande comment faire avec cette valise. J’avais pensé à une astuce pour les roues, mais maintenant…

Après avoir cogité, je me dis que je vais remercier une nouvelle fois la jeune fille. Je la vois à côté de la dame qui m’a aidée à mettre la valise dans le train et qui me dit que nous sommes voisines de quartier, qu’il y a des jours où je la salue et pas d’autres. Je ne la connais pas, mais c’est vrai que je dis bonjour à ceux que je croise et qui me regardent aimablement, mais parfois je suis dans mon monde. La dame me dit que la prochaine fois, elle va me dire de restreindre mon champ pour qu’on se salue. Finalement, la conversation s’engage et j’apprends que son mari et elle ont une manufacture d’horlogerie. Cela tombe bien, je suis passionnée par cette industrie et lui parle de mes articles sur Abraham-Louis Breguet et Hook&Huygens notamment. Leur marque est Czapek. Je demande si c’est lié à l’écrivain tchèque bien que leur graphie diffère, mais elle ne le connaît pas. Czapek est un horloger polonais d’origine tchèque (quand même) qui s’est installé à Genève en 1832. Je demande si le monsieur est enterré à Genève, mais elle ne sait pas. La manufacture a 9 ans et donc est sur une bonne route. La dame a été invitée à la Fashion Week de Paris par Louis Vuitton. Ce n’est pas rien ! On va se rencontrer une fois.

No 7. Dans le même train. Une jeune fille (jeune femme dira-t-elle plus tard) me regarde avec sympathie et je lui raconte l’histoire de ma valise. Je lui demande quel est son métier et elle me dit qu’elle est laborantine à Berne. Je m’étonne qu’elle ait un si bon français. En fait elle vient d’emménager à Berne. Je lui demande si elle est contente avec son métier. Elle me dit que ce qu’elle aime le plus c’est résoudre des problèmes, trouver pourquoi une machine ne fonctionne pas. Je me dis que son esprit est scientifique et lui parle du spectacle Very Math Trip que j’ai vu à Paris et que je lui conseille si elle y retourne avant fin mai. C’est un spectacle drôle qui traite de mathématiques et dont le comédien est lui-même un prof de math désireux que les gens fassent la paix avec cette discipline si présente partout, même sur un terrain de foot ! Elle me dit que les maths lui manquent et répète qu’elle aime résoudre des problèmes, elle aime avoir des problèmes à résoudre. Je lui demande si elle n’a pas pensé à suivre une formation en parallèle et me dit qu’elle ira la semaine suivante à une journée portes ouvertes des écoles d’ingénierie. Je lui souhaite de trouver ce qui lui convient et lui demande de m’aviser quand le jour arrivera. Cela m’intéresse. Je trouve son esprit intéressant.

En résumé, j’ai l’impression d’avoir trouvé des miroirs. Non pas que je me trouve extraordinaire, je trouve normal de penser aux autres et de leur faire plaisir dans la mesure de mes moyens (deux cas particuliers : la musicienne qui a une vie compliquée mais y fait face avec le sourire – la plupart du temps j’y arrive, oui, la plupart du temps car il y a quand même des moments plus brumeux que d’autres et la jeune femme qui cherche sa voie, mais moi aussi…). Seulement, notre époque est un peu bizarre et quand je trouve d’autres personnes qui sont comme moi… je me sens presque au paradis !

Un cadeau : j’étais encore dans le train et voilà que je reçois un message par WhatsApp de la part d’une connaissance récente qui m’engage pour présenter un spectacle au mois de juin dans une fondation pour personnes âgées. Cela fait longtemps que je désire faire un tel spectacle afin de remercier ces personnes qui ont fait la ville, le pays et le monde dont j’ai hérité. C’est une chance ! C’est une suite des rencontres à Paris. Je souhaite que les personnes qui ont pris part à mes conversations aient une aussi bonne nouvelle, voire même meilleure.

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