Cave perdue – visite virtuelle guidée

Cet endroit, témoin de ma vie, m’est arrivé comme un cadeau. J’avais fini mes études de danse à l’École de chorégraphie de Bucarest, suivais les cours d’économie politique à l’université de Neuchâtel et donnais en même temps des cours dans la cave qu’une amie me prêtait. La cave appartenait à ses parents et quand ils ont découvert que j’y donnais des cours et que leurs vins étaient soumis à des hausses de température, j’ai été priée de partir. Bon… Je pleure dans la rue et rencontre Ernest Grize, le premier régisseur du Centre culturel neuchâtelois qui s’appelait à l’époque aussi Théâtre de Poche neuchâtelois (TPN). En plus du bâtiment où était situé le théâtre, il y avait un local un peu plus loin appelé la Cave perdue. Le nom est significatif car il faut savoir où l’endroit se trouve pour y accéder ! À ses débuts, il avait été un endroit pour le bricolage et le dépôt de décors ; puis, des répétitions ont eu lieu. Mais, le lieu est une sous-cave, passablement humide et froide et l’équipe du TPN y avait installé des chauffages roulants. Une fois, ils ont mis une couverture dessus et oublié d’éteindre le chauffage… Alors, elle a retrouvé son vide, si je puis dire. Ernest parle de ma situation, ses collègues hésitent et finalement c’est son point de vue qui l’emporte et le local, retrouve, avec moi, un sens culturel. Encore une fois, c’est à Ernest Grize que je dois d’habiter cet endroit.

Remerciements à Ernest Grize. Sans lui, je n’aurais pas pu développer mon école, je n’aurais pas pu aider plein d’élèves, de parents, un tas d’autres personnes, et n’aurais pas rencontré le compagnon de ma vie, André Oppel. Il n’y aurait pas non plus la reconnaissance posthume d’un des employeurs d’André, M. René Froidevaux, patron de la Fabrique d’Horlogerie Froidevaux S.A Neuchâtel, et il n’y aurait pas eu de documents faits par André pour cette entreprise au musée Des Monts du Locle ni les montres d’André dans ce même musée, ni tant d’autres choses encore. Je trouve cela fantastique. C’est comme des flux qui se lient les uns aux autres. J’essaie d’en faire une image.

Et ceux qui ont connu Ernest savent qu’il n’aurait pas été qui il a été sans Mado, sa femme, qui était partie intégrante de toutes ses aventures sur cette Terre ! Et Ernest ne se serait pas battu pour moi si Jacques de Montmollin n’était pas tombé amoureux du théâtre, n’avait décidé de créer le TNP à Neuchâtel et si sa mère ne l’avait aidé à avoir le local actuel du Théâtre du Pommier. Et le reste de l’histoire remonte au début des temps. Vertigineux !

Le TPN – Centre de culture, 1968, devient en 1971 le Centre culturel neuchâtelois et bien plus tard on y ajoutera Théâtre du Pommier.

Alors, faisons une visite virtuelle du lieu qui est devenu mon studio de danse, mon atelier, ma Cave perdue. Une fois qu’on est entré (à droite de la photo) on trouve :

  1. Le mur de droite :

Le rideau du Théâtre de Poche neuchâtelois. À ses débuts, la scène avait été conçue comme celle d’un théâtre à l’italienne, avec un rideau qu’on ouvrait et fermait. Je me rappelle très bien les mouvements de ce rideau lorsque j’assistais à des spectacles. Puis, il y a eu des transformations et le rideau a disparu. C’est une grande chance que j’aie pu le récupérer. On l’a déjà dit, la Cave perdue est quelque peu fraîche… et le rideau qui était posé à ses débuts n’était pas idéal. C’est Jean-Luc Charpilloz, l’administrateur du CCN qui l’a sorti du sac où il avait séjourné pendant bien des années. Je lui ai donné une seconde vie et suis émue à chaque fois que je le vois, car je le sens porteur d’histoire.

Costumes. J’ai eu la chance d’entrer en possession de costumes qui ont été sur diverses scènes : Bucarest, Saint-Pétersbourg, Moscou. Ils donnent une belle atmosphère à l’endroit.

Décors. André a fait la plupart des éléments de décor de mes spectacles. Je me fais un plaisir d’en exposer quelques-uns.

Photos de Knut. Knut est devenu « le » photographe de l’école et de bien de mes activités.

Théâtre du Passage. Les costumes exposés ont habillé les loges du Théâtre du Passage lors de son inauguration ! Les autres costumes que j’avais prêtés se trouvent aussi à la Cave perdue, on les retrouvera plus loin.

Les fils de suspension. Ils proviennent du magasin Au Pêcheur, de Neuchâtel. Je suis végétarienne et pourtant… je dois une fière chandelle à son aimable patron, M. Demange !

Pressing Blanc-Sec. Cet ancien pressing a aussi participé à mon bien-être. Les housses en plastique qui couvrent tous mes costumes ou qui les empêchent de se salir contre le mur proviennent de ce pressing. Je remercie les patrons qui l’ont tenu.

Mes activités. Se trouve aussi, dans ce mur, un panneau avec mes activités, par ordre alphabétique :

Les activités qui actuellement prennent le plus d’ampleur ce sont les spectacles intimistes que je propose à des petits groupes, les cours pour l’ossature et les articulations ainsi que la révision de textes. Je suis ainsi faite, je m’intéresse à bien des choses, alors, je propose et le destin dispose ! Mais, on retrouve partout le même fil conducteur : apporter quelque chose de nourrissant aux autres.

2. On finit le mur de droite et on arrive sur la scène :

Le sol. Depuis qu’Ernest a posé ce sol, bien des amateurs et professionnels du théâtre, dont Laurent Terzieff, Robert Bouvier, directeur du Théâtre du Passage, ont marché sur ce sol. Je viens d’apprendre que l’actuel directeur du Jardin botanique de Neuchâtel, Blaise Mulhauser, y a également joué ! Des élèves de mon école, de l’École de chorégraphie de Bucarest – dont l’une, Greta Niță, est devenue soliste et vient d’interpréter Giselle pour la première fois (Opéra de Bucarest), dont une autre, Miruna Miciu, est danseuse étoile au théâtre de Zagreb, ont aussi utilisé ce sol. Mais, tous ceux qui l’ont foulé ont gagné quelque chose ; tout le monde a appris quelque chose. Et toujours sur le même sol. Fantastique !

Le miroir. Tout danseur a besoin d’un miroir, non point par besoin narcissique ; tout simplement parce que le miroir lui dit si l’image qu’il donne correspond au mouvement qu’il imagine. Tout danseur a aussi besoin d’un maître de ballet. C’est un avantage par rapport à bien des professions. Les corrections font partie du quotidien d’un danseur et tout avis lui est utile. Cela favorise l’ouverture de l’esprit. J’avais donc besoin d’un miroir, c’est le magasin ABM qui me l’a fourni lors de sa fermeture. Je l’ai transporté avec l’aide d’amis. Avec le temps, l’humidité a déformé le mur en bois de soutien et c’est Jean-Luc Charpilloz qui a eu l’idée de renforcer son armature. Je le remercie.

Les fonds de scène, les rideaux. Le premier rideau avait eu pour fonction de cacher le miroir lors des spectacles et filmages. Puis, je me suis dit que ce serait bien d’avoir un fond de scène. Par la suite, le répertoire s’enrichissant, j’ai eu le besoin et l’idée d’avoir un fond rouge et un fond blanc. De plus, Knut, le photographe, a aussi eu besoin de varier le fond de ses photos. Le premier système c’est aussi Jean-Luc qui l’a posé. Le dernier c‘est Roger, cet ingénieur si pratique qui s’est dévoué. Les rideaux roulent ! pour ainsi dire.

Le plafond de la scène. On retrouve ma vielle compagne : l’humidité. Lorsque je suis arrivée à la Cave perdue, le plafond était celui d’une cave du xviiie siècle, soit poutres visibles et sable. Lorsque le voisin du dessus marchait, le sable tombait sur mes 33 tours… Jean-Luc, le même personnage pratique du CCN déjà mentionné, a alors posé un faux plafond. Mais, l’humidité l’a dégradé. Cela s’est fait peu à peu et personne n’a apporté de solution sans devoir tout démonter et changer ou faire des travaux importants. Voilà que Roger me suggère d’y mettre du tissu. Il aurait voulu un autre système que j’ai trouvé très compliqué et suis arrivée à celui qu’on voit. Cela donne des allures d’un palais impérial, n’est-il pas ? comme diraient les Anglais.

Nouvel éclairage de scène. L’ancien système posé par Ernest revenait vraiment très cher. J’ai demandé à Gilles Pernoud, le patron de Sound Patch, de me donner un coup de main. Il a été remarquable tant avec les idées qu’avec sa manière de procéder. La lumière tamisée trouve son origine chez Ticu, l’un de mes amis à Bucarest. Il voit dans la rue, du temps du socialisme, une dame avec un sac en plastique avec une image de la ville de Zurich. Il lui demande le sac. On ne sait ce que la dame a pensé, mais elle le lui donne. Il le découpe et entoure l’abat-jour de sa lampe. Tous les amis allaient admirer sa lampe. Retour à Neuchâtel, maintenant. J’ai des lampes Ikea que je voudrais rendre plus jolies, reçois un sac en papier de chez Cighélio, le bureau d’impression de Neuchâtel, il est rose… La chose doit travailler dans ma tête car j’en demande un second et habille mes lampes. J’aurais voulu en avoir une réserve, mais il n’y en a plus. Je les traite avec beaucoup de soin.

Les chaises de Freddy Landry :

Lorsque j’ai repris la Cave perdue, il m’a manqué des chaises. Le sort a voulu que j’hérite des chaises de Freddy, des chaises dignes d’un palais. J’en ai sept, nombre magique s’il en est ! Je dois en prendre soin assez constamment car l’humidité, une fois de plus, se fait sentir. Mais, j’ai trouvé une parade grâce à Claude Lienher de l’atelier de menuiserie d’Évologia et les choses vont bien. Les chaises sont contentes d’assister à toute sorte de choses et je suis contente de montrer celles qui sont devenues mes Freddy-chaises !

Un écriteau fait par André :

Écriteau composé par André et découvert sur place quand j’en suis devenue la locataire principale.

Bon, les usagers sont avertis… J’aime cet écriteau parce que le texte abonde dans mon sens et surtout parce que l’écriture est tellement représentative d’André, du graphiste qu’il était, du personnage si présent et dont l’écriture est le portrait.

3. Mur de gauche :

Ileana Iliescu. Elle a été danseuse étoile à Bucarest. Ce qui m’a marqué chez elle, c’est sa présence sur scène, elle la dominait. De plus, elle dansait naturellement. Je dirais aussi qu’elle était une danseuse racée. Le port naturel qu’elle avait sur scène, elle le garde encore aujourd’hui. Elle l’avait de naissance, mais Maître Anton Romanovski, l’avait aussi et il l’a aidée à le mettre en évidence.

Rudolf Noureev. Danseur dont la personnalité prenait toute la scène. Je l’ai aussi vu danser et la netteté de ses pas était le reflet de l’école Vaganova. Sa photo, ainsi que celles d’Ileana Iliescu, ont été « montées » par l’atelier Cighélio.

Photos de Knut. Knut a photographié les danses de ces dernières années et fait de très jolis effets.

Affiches des années 1990. Lorsque j’ai repris le local, j’ai trouvé des affiches de Bernard Haller et d’autres affiches de la Cité universitaire. Il faudra voir à qui je peux les transmettre.

Une porte. Elle se trouve à la fin du mur de gauche.

L’arcade au-dessus de la porte a été réparée par des travailleurs de l’entreprise Facchinetti. J’ai connu M. Gilbert Facchinetti et une fois que les travailleurs ont su cela, je suis devenue un membre de la famille !

Atelier de menuiserie d’Evologia. Cet atelier fait aussi partie intégrante de ma vie. Je lui dois bien des conseils avisés et des éléments de rangement pour mon local. J’ai rafraîchi cette porte avec une teinture provenant de l’atelier. Je viens d’apprendre que son chef et formateur, Claude Lienher, part à la retraite. J’ai pensé qu’il resterait toujours…

Afin de lui donner un genre, je l’ai décorée.

L’année passée, j’ai ramené de Paris l’écriteau sur les Champs-Élysées. J’aime Paris, je m’y sens bien. Je crois bien que c’est l’écriteau qui m’a choisie et pas le contraire.

Je retiens de ce qui est écrit sur le nom de l’avenue de Paris qu’elle « signifie aux promeneurs qu’ils ont le privilège de pouvoir se reposer dans les jardins du roi ». À l’origine, c’est le lieu où les héros et les gens vertueux goûtent au repos après leur trépas. Chez moi, personne n’a trépassé, mais comme la porte mène aux coulisses, on peut dire que là reposent les costumes et décors de mes spectacles. Comme la porte mène aussi à la salle d’eau, tous ceux qui ont fréquenté mon local sont aussi passés par là. C’est en tous les cas un endroit qui respire la tranquillité.

4. Mur du sud :

On arrive au dernier mur de la salle. J’y ai accroché deux décors faits par André pour des danses de mes spectacles.

On y voit aussi quatre chaises, trouvées en ville lors d’une promenade. On y voit l’un des costumes utilisés pour l’un de mes spectacles intimistes.

Meubles dessinés par André, faits par Ernest et rajeunis par moi :

Chaque fois que je vois ces meubles, ils me ramènent dans une dimension où André et Ernest sont présents. J’ai toujours eu soin de toute chose, mais, je me surprends à chaque fois à me dire que ce n’est qu’aujourd’hui que j’en suis vraiment consciente. C’est ainsi qu’au début, afin de protéger la table de divers usages, je l’ai couverte d’une toile noir brillant. Lorsque j’ai repris le local, j’ai enlevé la toile qui avait passablement souffert, j’ai lavé la table et l’ai repeinte. De même que le banc. Je leur ai peint une décoration de mon genre. Aujourd’hui, je les ai cirés et brillés et une fois de plus, je me suis dit que c’était à ce moment-là que je prenais conscience de tout ce qu’ils représentaient.

Droguerie Schneitter. Diverses peintures, produits de nettoyage, colophane, ainsi que des conseils proviennent de chez Schneitter.

Des éléments incontournables dans mes cours :

Essence : c’est le squelette. Mais, c’est un squelette qui pense. On le voit penser à droite. Il a des pensées plus ou moins en ordre. Ce qu’il y a d’intéressant ce sont les idées très ordonnées à côté, prêtes à entrer dans sa tête alors que dans sa tête il y a une pensée qui… à vous de décider « une idée qui tombe juste à pic » ou « zut, une idée qui s’en va ». C’est le genre de choses que l’on voit dans mon cours « Visitons les chambres du cerveau », cours donné au sein du Passeport Vacances.

Tout un ensemble !

J’ai des choses très diverses dans mon studio et pourtant elles participent de l’atmosphère qui y règne. Il y a une unité. Je suis moi-même un ensemble de connaissances acquises dans divers endroits et provenant de tous ceux qui ont croisé ma vie. Et pourtant, tout ce que je fais porte mon empreinte. Je ne serais pas qui je suis sans les autres et sans les choses qui ont traversé ma route. Je suis de l’avis que tout est important et qu’on doit prendre soin de tout, tant des choses que des gens. Nous ne sommes rien sans les autres il n’y a pas besoin de faire appel à des théories philosophiques, le simple bon sens suffit !

5. Après la porte qui mène aux Champs-Élysées.

C’est l’arrière-salle, c’est l’endroit où l’on trouve les costumes utilisés lors des spectacles, les réserves de chaussons, les supports de musique, du matériel divers.

J’ai mis un rideau pour continuer avec une atmosphère de château et aussi, disons-le, pour couper le froid en hiver.

À droite. Divers décors : un poisson qui rêve dans les airs, une jupe de répétition de l’Opéra de Bucarest, des affiches du « Lac des cygnes », dont mon amie, Ileana Iliescu, ancienne danseuse étole de ce même théâtre, a fait la chorégraphie, et divers objets d’autres spectacles.

À gauche. La porte ouvre sur des escaliers que j’ai utilisés pour des rangements de costumes.

À droite, le corps humain. J’ai pu suspendre ces deux affiches inspirée par les systèmes d’accrochage des rideaux par Roger.

À gauche, la salle d’eau. Je l’ai aussi décorée avec une réclame ancienne de savon de Marseille et d’autres éléments de spectacles.

Les costumes, des réserves de tout genre et des décors se trouvent aussi dans l’arrière-salle. Mais, cela prend trop de place ici. Ce sera une autre fois.

Je ferme la boucle : sans le geste d’Ernest, rien de tout cela n’aurait eu lieu. Il n’a pas pensé jouer un tel rôle et c’est cela qui est magnifique. Je le remercie. Prendre conscience de tout cela me force à faire de mon mieux pour que son geste reste vivant.

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