En tournée à Cluny – chez Jacques Collin

Vous le savez bien, ce n’est pas parce que l’on désire une chose, qu’elle se réalise. Ce qu’il y a d’intéressant c’est que ce qui se passe à la place est souvent enrichissant. Dans le cas présent, j’attends la visite de Jacques depuis un moment et finalement, je me suis dit que j’allais plutôt me déplacer !

Je prends contact avec les responsables de la résidence Bénétin, où Jacques séjourne, propose mon spectacle et tout se met en route.

L’accueil de la résidence est très chaleureux. J’explique qu’il me faudrait une salle où l’on puisse éteindre les lumières et être dans le noir, lors de certaines de mes danses et la directrice, Mme Lafay et la responsable de l’accueil, Sandrine, discutent pour trouver une solution. Cela démontre qu’elles pensent que présenter un spectacle comme le mien peut apporter quelque chose à leurs résidents. Finalement, Sandrine pense aux nombreux journaux qui n’ont pas été débarrassés afin de couvrir les fenêtres. Je me dis que les journaux attendaient de rendre un service supplémentaire avant de se recycler ! Voici Sandrine et Bruno en plein travail.

Technique de travail. À droite, on voit Bruno qui ouvre, applatit les journaux et prépare le nombre de feuilles requis, à gauche on voit Sandrine procéder à l’étape avant-dernière avant de les coller sur les grandes vitres. Alors la technique ? J’ai donné un coup de main et Sandrine m’a bien expliqué que s’il fallait bien quatre feuilles, il fallait d’abord les coller entre elles. J’ai vite compris pourquoi… en mettant les feuilles sans les coller, le ruban adhésif ne collait que la dernière feuille et les autres s’éparpillaient… J’ai admiré le sens pratique de Sandrine et l’ai remerciée de m’avoir appris quelque chose. Une fois l’opération finie, on a fait des essais avec mes lumières et costumes et elle n’a pas hésité à remettre une couche de journaux.

Une semaine plus tard, c’est fait. J’ai mon enceinte, soeur (car même marque) de celle de Sabrine !

Sabrine est aussi technicienne du son. Je n’avais que mon ordinateur et elle a pris son enceinte personnelle pour que le public puisse bien écouter la musique ! Un vrai cadeau. Je me dis qu’il faudrait que je m’en procure aussi une, cela va me faciliter la vie. Vous voyez, je m’enrichis de choses utiles !

Madame Lafay est aussi très à l’écoute. Elle se dit que j’ai besoin de m’installer, de répéter tranquillement et place le spectacle le jour qu’il faut. Je me sens réellement bien traitée.

Le public. J’ai une vingtaine de spectateurs, ce qui en fait plus que dans mon studio. Je précise que c’est un spectacle intimiste, que les choses se passent entre nous et que chacun est libre de s’exprimer. Mon spectacle étant de la danse-théâtre et interactif, j’avertis que je vais poser des questions. Tout le monde accepte et bien sûr, Jacques aussi. Il a mis un beau T-shirt rose et cela lui donne une belle allure. Il est au premier rang.

Durant le spectacle. Tout se déroule parfaitement. Sandrine intervient une fois ou l’autre et fait preuve de qualités d’intervenante de qualité, d’inventivité, de drôlerie dans ses improvisations. Elle a dit au public que les journaux collés aux vitres étaient destinés à obscurcir la salle mais qu’ils avaient aussi une fonction de gym douce parce que pour les lire il fallait se mettre sur la pointe des pieds, se pencher à droite, à gauche ou même se baisser ! Tout le monde a ri. Elle a aussi expliqué que dans ma salle de Neuchâtel, on ne me voyait pas, qu’on ne voyait que les éléments que je manipulais sous la lumière noire et qu’ils étaient priés de ne pas me voir ; ceux qui me verraient, ce serait parce qu’ils auraient une trop bonne vue ! Je trouve cette façon de s’exprimer remarquable. Cela a rassuré les spectacteurs et je me suis dit que moi, qui aime aider les gens, allais m’inspirer de cette expression.

Un verre et des biscuits. La directrice a trouvé que pour que l’on puisse mieux discuter, on se réunisse, après le spectacle, un moment au jardin pour une verrée. Cela a été très bienvenu.

Compliments après le spectacle : « J’ai aimé la danse avec les voiles ! Moi aussi ! Votre façon de bouger est très souple et élégante ! La danse sur du Schubert m’a remué l’âme ! Et c’est vous qui composez toutes les danses ? Et les costumes ?  » Quant à Jacques, il m’a dit :  » Je te remercie d’avoir montré ton talent. Tu as touché le public, c’est quelque chose ! et il a fait un geste de la tête qui confirmait ses paroles en même temps que son regard se dirigeait vers l’infini. Merci ! » J’ai été touchée. De plus, il m’a donné son exemplaire personnel de  Au-delà de l’eau, le livre qu’il a sur-ligné et qui me donne l’impression de l’entendre. Je suis vraiment très touchée. Jacques parle souvent de l’éternité ; c’est vrai, tout ce que l’on fait s’imprègne dans nos cellules. Au moment où j’écris ceci, les miennes vibrent.

Il n’y a plus besoin de me présenter, j’ai gagné mon prénom !

Atelier de mouvement. Je propose de donner le lendemain un cours de gym douce afin de montrer certains mouvements, de montrer que l’on peut faire plus que ce que l’on croit, de comprendre que ce que l’on pense est important. Tout s’est bien passé et j’ai même parlé de Jade Allègre et des effets de l’argile. À la fin de la séance, on m’a demandé quand j’allais revenir ! Cela vaut tous les compliments. De plus, juste avant de partir, une dame, Anh, m’a apporté une banane et des mirabelles pour le voyage. Je craque !

Les dieux ont été avec moi. On peut trouver diverses formules : les dieux, le hasard, la chance, bref, bien des choses se sont alignées pour faciliter mon trajet tant à l’aller qu’au retour :

  • au moment de mettre mes affaires dans la valise, je vois qu’elle est déséquilibrée, il lui manque un bout devant ; je discute avec mon voisin et trouve une solution : un bout de bois peint en rouge, comme ma valise que j’installe à l’aide de fil de pèche hérité du magasin de pèche que j’ai aidé à fermer ;
  • on annonce un changement de voie au dernier moment, je me déplace avec ma lourde valise – tout le matériel du spectacle – et finalement ce n’est pas le cas. Je fais cela en trois minutes, presque pas possible ; le train Genève-Annecy arrive avec un retard de 25 minutes. Le contrôleur me dit que le TGV qui va à Toloché ne va pas attendre ; je lui dis que je dois absolument arriver à Cluny. Il me dit qu’il va voir et que s’il y a une possibilité, il fera une annonce. Juste avant d’arriver à Annecy, il annonce que le TGV nous attend. Au moment où je sors du train à Toloché, je demande au personnel du train de remercier celui du train précédent parce que le TGV nous a attendus. J’apprends alors que c’est le personnel du TGV qui exceptionnellement a décidé d’attendre. Un vrai miracle !
  • je vois des escaliers qui descendent d’abord pour remonter plus loin et prends ma valise… un employé de la gare vient, me la prend et la porte jusqu’au moment où je suis sur un terrain plat, tout cela dans la joie et la bonne humeur ;
  • l’aide reçue pour présenter mon spectacle dans des bonnes conditions, c’est aussi à prendre en compte, ainsi que les leçons de Sandrine ;
  • lors d’une de mes promenades dans Cluny, une dame me demande si elle peut s’asseoir à côté de moi, à l’ombre (je m’étais assise en plein milieu d’un banc de bois). On discute, elle me raconte qu’elle a épousé un monsieur qui travaillait lors de la construction du TGV et qu’elle avait tenu des restaurants à chaque fois qu’il y avait changement d’étape. Elle se trouve un peu seule et je l’invite au spectacle. Elle vient et lors de la verrée, elle se trouve à côté d’une dame. Elles se regardent et se reconnaissent. Elles étaient du même village du temps de leur enfance. Le père de la dame invitée était meunier et celui de la résidente le boulanger qui utilisait sa farine ! Elles ne s’étaient plus revues depuis leur adolescence !
  • à un moment donné, j’étais en attente de quelque chose et une dame de la résidence s’approche. Je me dis qu’on va parler. Elle me raconte sa vie et lui dis qu’elle pourrait voir certains épisodes d’une autre façon et que les miracles qui m’avaient accompagnée devaient avoir un sens. Elle finit par me remercier parce qu’elle n’aurait jamais pensé à cela. Je lui dis qu’en fait, je n’ai fait que prononcer les mots qu’elle n’arrivait pas à se dire ;
Les herbes clunysoises (des alentours de la résidence, cela vaut la peine de le mentionner) et sept des vingt-quatre canaris en train de se régaler.
  • je me promène toujours avec une paire de ciseaux parce que j’ai une grande volière avec des canaris et qu’ils raffolent de graminées et autres fleurs sauvages. Je n’arrive plus à les retrouver et c’est Julien, qui fait office de cuisinier, qui me prête les siennes. Ouf ! Je peux rentrer tranquille et apporter des herbes clunysoises que mes oiseaux vont transformer en chants !
  • le bout de bois de la valise s’est un peu détendu. La nuit avant mon retour, je discute avec la personne qui fait la veille et elle me dit qu’elle prépare des décoratioins à faire avec les résidents. Elle a un fil spécial qui me rendrait service. Elle m’en donne un bout et revoilà ma valise en équilibre ;
  • pour aller à la gare routière, la directrice a permis à Sandrine qu’elle m’accompagne en voiture – ma valise s’était alourdie avec de l’argile et autres affaires – et je me suis sentie comme une reine ;
  • à tous les changements de train, il y a eu quelqu’un pour me porter la valise, me dire sur quel quai je devais aller parce que là aussi il y a eu des retards et changements de train ;
  • si j’ai pu mettre dans une valise le matériel qu’il me fallait pour le spectacle est aussi une suite d’événements qui font que maintenant en quelques minutes, je peux assembler tout ce qu’il me faut pour une tournée ; tout est préparé ;
  • je dois aussi préciser que je suis une admiratrice inconditionnelle d’Abraham-Louis Breguet, l’horloger né près de Neuchâtel, et qu’à Cluny j’y ai trouvé un livre qui me m’apporte certaines réponses. C’est un signe de plus qui me dit que je suis sur le bon chemin.

Tout cela est dû à Jacques : sans lui, pas de voyage, pas de spectacle (Sandrine l’a aussi souligné lors de la présentation), pas d’expériences. Je suis ravie et remercie Jacques pour ce que j’ai pu apporter et pour ce que j’ai reçu !

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Conversations en patchwork.7 (en cours)

Il n’y a pas d’endroit qui ne puisse servir de source de curiosité ou de savoir.

  1. Salle de lecture des archives de l’Etat de Neuchâtel : bataille de Morat. Deux messieurs font des recherches généalogiques et je les entends se raconter des découvertes. Je suis en train de faire des recherches sur les horlogers à Neuchâtel dans les années 1970 et leurs mots « C’est comme cela que les Suisses ont gagné la bataille de Morat* me parviennent. Je redresse la tête et demande qu’on me raconte le tout que voici :

– Un copain (le monsieur qui parle a un âge certain et à tout âge on peut avoir des copains !) était fasciné par la bataille de Morat et avait fait des recherches qui ont démontré que Charles le Téméraire avait demandé à un devin de lui dire quelle était le moment favorable pour faire la guerre aux Suisses et remporter la victoire. Le devin lui dit que les Suisses n’avaient jamais engagé une bataille le samedi matin et que donc son système de défense mis en place suffisait. Charles le Téméraire a été rassuré et n’a rien changé à son dispositif. Or, les Suisses de Morat avaient reçu de l’aide dont des renforts des confédérés ; ceux de Zurich avaient été retenus parce qu’il avait plu et ils avaient dû attendre toute la journée de vendredi pour que la poudre sèche mais ils sont arrivés à temps (le monsieur précise qu’ils avaient parcouru… – je ne sais plus, il faut que je vérifie, mais il a ajouté : « C’était le temps où on savait marcher ! ») et… voilà comment les Suisses sont sortis victorieux de la bataille le samedi matin !

2. Historien de la même salle. Je suis toujours en train de faire des recherches sur les horlogers à Neuchâtel et une des voisines de mon immeuble me dit que sa mère avait travaillé chez Favag en tant qu’étainière.

Je retourne à la salle et trouve effectivement un René Devenoges, 31 rue des Moulins et téléphone : 422 57 en 1970. Mais, la maman de ma voisine ne figure pas comme personne active. Elle a disparu derrière le mari. Je raconte l’affaire à l’historien de la salle et il me dit qu’il avait fait des recherches pour une dame d’une famille connue et lors d’une discussion avec son mari, elle disait qu’elle était adulte, avait sa profession mais qu’on l’appelait sous le nom de son mari. Cela m’a rappelé que lorsque je vivais chez les de Meuron, Mme de Meuron s’appelait Mme Henri de Meuron ! J’avais trouvé qu’elle n’avait pas la tête d’un monsieur et que son vrai prénom, Valérie, lui allait bien mieux. L’historien me dit que c’est exactement cela et que le mari de la dame avait dit à sa femme :

Je trouve tout cela savoureux. Et l’historien de me préciser que la dame ne retrouvait son nom qu’au moment du décès : « Décès de madame Fernand de Montmollin, née Marie Chautens », pour donner un nom fictif. Je lui raconte encore que du temps de la Grèce ancienne, la femme était la femme de et la fille, la fille de. Elles n’avaient pas de prénom en dehors de la maison. Il se trouve que la première femme à avoir revendiqué son prénom a été Aspasie, une grecque (suite ici bas).

Je m’appelle Aspasie – titre du livre écrit par Franck Senninger. Aspasie a vécu de -470 à -400 av. J.-C. Elle est l’unique femme dont l’antiquité ait gardé le nom en mémoire ! Elle a pris des cours de philosophie et a donné des cours de rhétorique. Elle a été la première femme à réunir philosophes et politiciens pour des discussions uniquement. À l’époque, il y avait des banquets où seuls les hommes étaient habilités à participer et le rôle des femmes était de les amuser. Elle a été la femme de Périclès et il la consultait avant de prendre des décisions. Il la respectait publiquement. On sait que Périclès a joué un rôle déterminant dans l’installation de la démocratie. Elle a connu Anaxagore, Hippodamos, Phidias, Leucippe, Thucydide, Socratte, dont elle a été une interlocutrice privilégiée et admirée. C’est remarquable. Je sais tout cela parce que j’ai révisé la version électronique du livre Je m’appelle Aspasie que Franck Senninger a écrit.

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La mémoire de l’histoire, le rôle de la typographie et de l’imprimerie Courvoisier-Gassmann (C-G)

Une fois de plus divers pans de ma vie se réunissent pour faire un tout : maquillage fantaisie, Jean Mentha le typographe, ma passion pour la révision de textes, mon plaisir de découvrir de nouvelles choses et je ne saurais dire lequel est le premier de la chaîne mais elles se retrouvent dans l’imprimerie C-G.

Pour cet article, on peut commencer par la fin ; une fois n’est pas coutume. Je viens de visiter l’imprimerie Courvoisier-Gassmann qui se situe près de Bienne. Je suis passionnée par la langue française sous tous ses aspects, l’imprimerie comprise, cela va presque de soi. J’ai bien connu des imprimeurs et des typographes et vu les métiers changer et souvent disparaître. À Neuchâtel il y avait les rotatives de la Feuille d’Avis, aujourd’hui, l’impression du journal se fait je ne sais plus où et il n’y a plus de correcteurs. Cela se sent, se voit, se vit et c’est dommage. Chez Courvoisier-Gassmann (C-G), je découvre une entreprise qui date de 200 ans, j’aime les entreprises qui ont un passé, celle-ci se porte bien et en plus a une éthique. Ce dernier point me rend l’entité vivante et cela me rend heureuse, c’est comme si on ne faisait qu’un.

Pour l’historique de l’entreprise, je vous laisse aller sur sa plateforme. Ce que je peux dire c’est qu’en deux cents ans, elle a subi bien des mariages, des refontes, pour utiliser le langage typographique. Actuellement elle a concentré ses domaines et emploie une quarantaine de personnes.

Exploits. Il faut le dire, j’admire le premier imprimeur de la boîte, Fridolin Gassmann : il a changé son premier métier de meunier pour celui d’imprimeur ! Cela s’est passé au xviie siècle : « Fasciné par l’art noir, il quitte la farine blanche »1 et se construit une nouvelle existence dans la « ville des ambassadeurs » soit Soleure : en effet, la ville a abrité l’ambassade du royaume de France en Suisse de 1530 à 1792 (Wikipédia). Fridolin Gassmann a dû être guidé par son intuition, il doit s’être senti capable de faire autre chose et ce qu’il a semé alors donne aujourd’hui encore des fruits. Cela me fascine ! Notre société est le fruit d’actions passées et quand j’en découvre une, cela me transporte. Je répète donc l’admiration que j’éprouve pour celui qui est la racine de l’entreprise C-G. Parmi les derniers documents imprimés, on trouve le livre « Armorial du Jura » que l’Office fédéral de la culture a considéré comme l’un des plus beaux livres suisses de 2022 ainsi que  » Le Cèdre. Jean-Tschoumi 1951-1956 « , hommage à cet architecte, figure clef du xxe siècle, qui a donné un visage aux bâtiments administratifs des années 1950 .

  1. Citation extraite de l’historique de l’entreprise.

Le chemin qui mène vers l’entreprise :

Sylvain Villars est le personnage à qui je dois cette histoire et une partie de la mienne. Il est l’un des organisateurs de la Fête d’automne d’Hauterive. Il y a deux ans, il cherchait une maquilleuse pour sa fête et est tombé sur moi. Le hasard a fait que j’y avais déjà participé des années en arrière ; retourner à la fête a été le signe d’une continuité en même temps que celui d’un nouveau départ. C’est parce que j’ai remarqué le français soigné de Sylvain que je lui demandé quel était son métier et il m’a dit : « Lithographe de formation et je travaille dans une imprimerie où je suis responsable de production ». Mon Dieu ! Le fait de savoir que quelqu’un que je voyais physiquement travaillait dans une imprimerie, une vraie, m’a fait demander si je pouvais aller voir l’entreprise et la réponse a été positive. Quelle chance !

Un autre bout : Jean Mentha. Il a été typographe. J’ai entendu son nom par feu mon ami André Oppel qui fut directeur artistique du Centre culturel neuchâtelois, l’actuel théâtre du Pommier. André avait fait ses études de graphiste à Zurich et forcément suivi le mouvement Bauhaus. Il lui allait si bien… Je ne sais plus le détail mais André et Jean Mentha avaient collaboré. Cela suffit pour me rendre quelqu’un sympathique. Il y a quelques années, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre Jean Mentha parce que j’avais dans mes affaires divers guides de typographie dont celui du Typographe romand, 1982, que j’avais envie de parler avec lui de son métier et surtout de le remercier pour ce qu’il avait fait. Je constate bien des fois qu’après que les personnes quittent leur poste, ils sont quelque peu oubliés et cela me donne l’occasion de leur apporter un peu de chaleur. Je suis redevable à ceux qui ont travaillé avant moi et je me dois de le leur dire. Les sujets de discussion n’ont pas manqué parce que le guide mentionné m’a rendu bien des services dans mes rédactions.

Malheureusement la pandémie s’en est mêlée et Jean a eu interdiction de recevoir des visites. Mais, lors de l’une de nos dernières rencontres, il m’a mis entre les mains le dernier exemplaire qu’il avait du Guide du Typographe romand - Choix de règles typographiques, publié en 1943, « son » exemplaire, revu et corrigé par lui. Je revois le moment où il me l’a donné. J’avais été surprise parce que je ne le lui avais pas demandé. C’est en repensant à ce moment que je me dis qu’il fait partie de ce que j’appelle mon album temporel. Un album est fait de photos, ici c’est plus qu’une image, c’est un film : je revois Jean aller chercher le guide et se pencher pour me le donner alors que j’étais assise à sa table à manger. À ce moment, j’ai pensé : « Je n’ai rien demandé » et reçu, simultanément, la réponse mentale de Jean : « C’est mon héritage, gardez-le ! ». C’est ce que je fais. Et comme typographie et imprimerie ne font qu’un, lorsque j’ai rencontré Sylvain, on a parlé de ces sujets et je suis même allée à Bienne avec les livres de Jean comme si j’allais avec lui.

Je montre l’exemplaire de Jean Mentha à Sylvain et il s’exclame : « Quelle belle écriture ! » En effet, on n’en voit plus de semblables. On voit la précision, l’harmonie, le plaisir d’écrire, tout un portrait de la personne qui sait où elle va.

J’ai dû beaucoup agrandir l’extrait, mais de voir toute la page vous donne un sentiment de clarté et de beauté.

2024 m’apporte une information au sujet de Jean Mentha. Chez moi, je le dis au début de cet article, les pans de mon histoire se rejoignent de façon inattendue. Je viens d’écrire que je ne sais plus quel lien unissait Jean à André et voilà qu’en revisitant des documents d’André que je vais donner à la bibliothèque de la ville qui vient de créer un fonds à son nom, je tombe sur la lettre qu’André a écrite à Mado – (secrétaire, comptable, barmaid, accueil, billetterie et caisse des spectacles au Centre culturel neuchâtelois, le CCN) après le décès de son mari, Ernest Grize, premier régisseur du CCN et personnage clef lors de sa création – où il lui rappelle que leur complicité à tous les trois (Ernest, Jean et lui) allait jusqu’à avoir les mêmes étagères (plan d’André et construction d’Ernest) et les mêmes haut-parleurs (construits par Ernest et habités par les amplis de Jean) dans leurs appartements respectifs. J’ai l’impression que les esprits me font signe.

Ma passion pour la révision de textes. Il paraît qu’avant de venir au monde, on sait ce qu’on va faire. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu la moindre idée de ce que j’allais devenir. D’ailleurs, encore aujourd’hui, je cherche le métier que je ferai « quand je serai grande » ! J’ai eu diverses formations et divers métiers et ils se sont complétés les uns les autres. La révision de textes et l’une de mes dernières passions et elle m’a amenée à travailler avec et pour quelques écrivains dans des domaines aussi variés que les romans historiques, la vulgarisation scientifique, la santé, l’humour, la langue française. Je fais aussi des propositions à divers auteurs de plateformes sur la Toile et, de façon générale, c’est bien accueilli. Alors, aller voir ceux qui impriment entre dans la norme !

Les bureaux : ils sont beaux, bien décorés et l’air, autant que les idées, circule.

Le papier. Pas d’imprimerie sans papier ! D’où vient-il ? Sylvain m’explique que l’entreprise a des principes et qu’ils en achètent aux pays voisins, la France, l’Allemagne, un peu en Italie et pour le papier très spécial dans les pays nordiques qui ont beaucoup de forêts. Je suis conquise en écoutant ses explications.

Recyclage du papier. Le papier maculé n’est pas éliminé, jeté, il est recyclé. Je trouve cela magnifique. La nature a produit du papier et celui dont on n’a plus l’usage lui est restitué pour ainsi dire et il peut continuer son processus sous d’autres formes. Il est bien connu que les particules qui sont de ce monde viennent de la création et qu’à chaque changement de forme la mémoire se reporte. J’aimerais bien pouvoir parler avec les particules de ces papiers !

L’éthique de l’entreprise et mon atelier La valse comme chemin de vie. Une entreprise est le reflet de la direction qui est à sa tête. La direction de C-G a décidé de célébrer les dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU via une série d’affiches faites par dix-sept artistes bénévoles. Un exemple de ces objectifs : énergie propre et à un prix abordable. Nous avons plus de vingt siècles de civilisation et néanmoins avons encore bien des problèmes. À propos d’énergie, l’ancien locataire de mon appartement avait inventé un moyen de produire de l’énergie sans pétrole… Il n’a pas été écouté et est parti au ciel avec son idée. Souhaitons simplement que de tels cas ne se reproduisent plus et œuvrons pour le bien de tous. En tous les cas, l’imprimerie Courvoisier-Gassmann donne le bon exemple.

Alors quel lien avec La valse comme chemin de vie ? C’est que pour danser la valse, la danse de salon la plus élégante qui soit, il faut être deux, danser sur le même rythme, aller de pair dans la même direction et les deux partenaires guident tour à tour le long de la valse. Le couple de valseurs se retrouve partout : vendeur-client ; chef-employé ; chauffeur-passager ; professeur-élève. Toutes ces paires vont aussi dans l’autre sens : client-vendeur ; employé-chef ; passager-chauffeur ; élève-professeur. Dans le cas qui nous concerne nous avons : imprimerie-papier et papier-imprimerie ; imprimerie-lecteur et lecteur-imprimerie ; imprimerie-mémoire de la société et l’inverse ; imprimerie-environnement et on tombe sur l’illustration des points retenus par l’ONU. Ici, l’imprimerie danse avec le développement durable en jouant divers rôles. On ne peut que la féliciter !

Qualité de l’impression. J’ai vu un imprimeur appeler un collègue et comparer un document avec celui récemment imprimé, aller vers sa machine qui dose les teintes et lancer une nouvelle impression. C’est magnifique et maintenant que vous, cher lecteur, avez été initié à la valse comme chemin de vie, on peut dire que c’est une belle valse entre le collaborateur et son imprimé !

On passe aux machines d’impression. Je regarde les employés travailler et en écoutant les explications de Sylvain, je me dis que décidément le travail manuel est plein d’enseignements : on ne doit pas mélanger n’importe comment les encres, on doit calculer le passage d’une couleur à l’autre, on doit aussi avoir grand soin des machines car la moindre erreur a des répercussions non seulement sur les documents mais même sur les machines qui peuvent s’abîmer. Je parle d’enseignement car c’est un mode d’emploi qui est transposable à tous les domaines. Je pense souvent à des lois qui ont des effets pervers… Je me dis que tout le monde devrait avoir une formation manuelle comme repère. On doit tout et tous bien traiter car le résultat de l’investissement s’en ressent.

Ce sont les machines les plus perfomantes à ce jour !

L’une des machines a été achetée par le dernier investisseur.

Ici nous avons une plaque d’aluminium. Elle est installée dans la machine, prend l’encre, la couleur, et l’imprime sur le papier.

L’histoire. Il y a une salle exposition où il y a des machines utilisées autrefois dans l’imprimerie. C’est un moment touchant parce que j’ai l’impression de voir des employés s’affairer. Les machines sont belles et bien entretenues. Je félicite ceux qui ont eu l’idée de les exposer pour marquer le chemin parcouru. Elles sont les parents des machines actuelles.

Autrefois l’impression était plus compliquée, les passages des couleurs demandaient plus de temps, beaucoup plus de temps, d’autres produits et d’autres savoirs. Dans la photo, on voit la main de Sylvain sur une pierre de lithographie.

Si on se trompe sur un papier, on efface ou on en prend un autre ; sur une pierre…

Domaines d’impression. Courvoisier-Gassmann se centre sur les livres d’art, des magazines, de la publication scientifique, des livres scolaires et la publicité en général. J’ai vu de très beaux ouvrages de grandes maisons avec des reliefs, des dessins et des dorures de rêve que je ne peux reproduire ici. Mais voici un autre ouvrage intéressant, c’est un conte destiné également aux aveugles. Il faut, pour une telle impression, un grand savoir-faire. Il y a non seulement du braille, mais également des images en relief. C’est magnifique !

Flûte, j’ai raté une photo ! Il y avait à un endroit des papillons sur lesquels était inscrite la langue : anglais UK, anglais américain, anglais international. Je n’avais jamais vu une chose pareille ! Je crois que le fait d’avoir fixé l’image dans ma rétine m’a fait croire que je l’avais prise en photo.

Les correcteurs. J’ai été tellement prise par tout ce que j’ai écouté et vu que j’ai passé outre l’une de mes principales raisons de ma visite : discuter avec les correcteurs ! Il n’y en a plus sur place… Correcteur est un métier qui disparaît, je le regrette et le constate à chaque fois que je lis le journal de Neuchâtel (oh, pas seulement !). Cependant, C-G, selon l’oeuvre imprimée, fait appel à des spécialistes avec lesquels elle travaille depuis longtemps.

Le secteur de l’imprimerie. La société change, les emplois changent, certains disparaissent, d’autres se créent et cela se ressent dans le domaine de l’impression sur papier. Dans les années 2 000 il y avait en Suisse 2 000 imprimeries, aujourd’hui il y a en 500 parmi lesquelles des bureaux qui font de la photocopie. Je vous laisse réfléchir…

Oeuvre de Saype

Paris, pour finir. J’ai un faible pour cette ville. Aussi, lorsque j’ai vu la photo ci-contre, je n’ai pas résisté à la prendre en photo à mon tour. Il s’agit de l’une des œuvres éphémères de l’artiste contemporain Guillaume Legros dont le pseudonyme est Saype (contraction du verbe anglais to say et du mot peace). Pour ses fresques, il utilise une peinture biodégradable qu’il a inventée. Ici on voit, sur le Champ-de-Mars, le symbole de la chaîne humaine. L’œuvre est un soutien à l’association SOS Méditerranée.

« Les paroles s’envolent, les écrits restent ». Après avoir écrit l’article, la citation a affleuré à mon esprit. Je l’ai entendue de la bouche de ceux qui attiraient l’attention de ceux qui allaient écrire quelque chose. Désirant vérifier son sens, j’ai cherché sur la Toile et j’apprends qu’on la doit à Horace et qu’elle était utilisée dans l’Antiquité pour inciter les gens à écrire leur savoir afin de le transmettre et se créer une mémoire. Tout être vivant a une mémoire et une société, une civilisation se doit d’avoir la sienne.  Le rôle de l’imprimerie Courvoisier-Gassmann est de la transmettre. Une fois de plus, les choses se lient les unes les autres ; en revisitant le portail de Courvoisier-Gassmann, je trouve la phrase : « L’invention de l’imprimerie est le plus grand événement de l’histoire. » Ce sont les paroles de Victor Hugo. S’il était présent, il serait d’accord avec la première citation aussi.

Le personnel. Ici aussi Courvoisier-Gassmann se distingue. Il engage du personnel non seulement en fonction des qualifications mais des capacités personnelles. C’est ainsi, que dernièrement, une personne qui n’avait jamais fait d’impression a été engagée parce que du fait de son métier de base, la précision, le sens du détail et le goût du travail bien fait ont pesé lourd sur la balance. Je me dis que Fridolin Gassmann doit être content !

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