Mme Brodard était un personnage du marché de Neuchâtel.
Samedi passé, de retour de mon bain au lac, je rencontre au marché monsieur Jean-Daniel Pellet, père de Michaël, autres figures emblématiques de cet endroit que je qualifie comme racine de Neuchâtel (je reviendrai sur le sujet). On discute de la température de l’eau, de la déclaration d’impôts (je suis en train de remplir la mienne), d’administration et tout à coup, il me dit : « Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mère, elle aura 91 ans ! ». Madame Pellet, Hélène Pellet, ce que j’aime aussi cette dame ! Elle connaissait le nom de tous ses clients ainsi que celui de leurs conjoints et enfants. J’ai regretté qu’à cause de la pandémie elle ait dû s’éloigner. Elle n’est plus revenue, mais je me dis souvent que je vais aller lui rendre visite. Cette fois c’est décidé, au mois de novembre je me pointe chez elle ! Monsieur Pellet me dit qu’il pourrait venir me chercher. Je vais quand même lui éviter ce trajet. Rentrée à la maison, j’envoie encore un message par WhatsApp à Michaël pour souhaiter un bel anniversaire à la grand-mère. Michaël me répond et m’envoie l’annonce de décès de madame Brodard, survenu le jeudi 12 octobre de cette année 2023.
Lorsque les choses se lient les unes aux autres, comme dans le cas présent, c’est pour moi un signe indiscutable du fait que je suis au bon endroit et au bon moment. C’est comme si les dieux avaient envoyé plusieurs messagers pour me faire comprendre que le ciel avait ouvert ses portes à madame Brodard… mes canaris et moi lui devons tellement…
Pendant des années, Mme Brodard m’a apporté des graminées et toute sorte de fleurs pour mes canaris en volière. Parfois, elle me surprenait et me disait : « Essayez celles-ci, ils doivent aimer. » ou alors, en fin de journée, elle me disait : « Prenez encore ceci, je ne vais pas tout ramener à la maison. » Il m’est arrivé une fois de lui dire que les canaris n’avaient pas mangé les baies rouges qu’elle m’avait proposées à Noël (pas du houx, une autre sorte que les moineaux mangent volontiers, du cotoneaster) et elle a répondu : « Pourtant , ils aimaient avant ! » – »Oui, mais la génération actuelle… » – « Ah, les coquins ! » et elle a bougé la tête à sa façon tout en souriant. Quand elle a éprouvé des difficultés pour se déplacer, je suis devenue « livreuse de fleurs » pour une maraîchaire qui lui achetait des fleurs pour la maison ; j’ai aussi été « rameneuse de la tasse de café » qu’elle prenait au Charlot. J’aimais bien lui rendre un service ou un autre.
Les décisions politiques. Elles ont une incidence sur la vie du marché. On le sait, rien n’est éternel en ce bas monde. Tout de même, le marché est une racine de Neuchâtel qu’il ne faudrait pas déplacer : une fois à la place du Port, une fois devant la Poste, une fois à la rue du Seyon et à la place du Marché… les gens ne s’en sortent plus. La place du Marché, bien que rebaptisée place des Halles, porte bien son nom, elle est la place où le marché a lieu. Mais, les terrasses des cafés, restaurants et autres établissements publics ont eu le dessus : lorsque les propriétaires des terrasses ont demandé plus de place et que les maraîchers ont voulu faire valoir leur histoire, ils se sont entendu dire : « Vous n’êtes que locataires ! » À la Fête des vendanges on avait le marché ; depuis qu’il y a une nouvelle tente qui n’a pas prévu je ne sais quoi, le marché ne peut plus avoir lieu. C’est ainsi que madame Brodard s’est vue placée en haut de la rue du Seyon. C’est comme une plante que l’on déplace ; elle est perdue sans son terrain. Elle n’est pas la seule à m’avoir fait savoir que le chiffre d’affaires avait baissé et que le rapport avec les autres collègues et vendeurs lui manquait. Cela a été un sacré coup pour madame Brodard. C’est tout un monde qui a été disloqué. Je connais deux autres maraîchers qui ont arrêté de venir parce qu’ils n’arrivaient plus à s’en sortir. En principe, il ne devait plus y avoir de nouvelles terrasses, mais une autre a encore été ouverte. Aujourd’hui, j’ai demandé à un groupe de maraîchers si tout allait bien et on m’a répondu que par rapport à l’année précédente, ce n’était pas le cas. Certains me rétorquent que la ville est très animée les samedis, oui, mais les passants sont-il aussi des clients du marché ? Les constats à « courte vue » m’agacent !
J’ai encore cru que madame Brodard allait revenir. Je ne sais pas comment je vois les gens, mais je n’ai pas compris qu’elle n’allait pas revenir, de même que je me dis que je vais revoir madame Pellet. La dernière fois que nous avons parlé au téléphone, madame Brodard m’a dit : « La tête va, c’est le travail qui ne va plus ». La fois d’après, son mari, un homme toujours souriant et plein de bonnes histoires, m’a dit que sa femme se reposait. Voilà, elle a quitté ce monde pour voir le marché du ciel (au propre et au figuré !), je me dis.
Madame Brodard dans son dernier lit. Je vais lui rendre visite à Beauregard. Je vais à pied en pensant à elle. Tout à coup, mon regard est attiré par des plantes que mes oiseaux aiment. J’ai l’impression que madame Brodard me dit : « Voilà pour les oiseaux ! » Je la remercie parce que cette année a été plutôt sèche et que je trouve peu de plantes sauvages pour mes canaris. C’est une jolie surprise et je me dis que je les prendrai à mon retour. Finalement j’arrive chez elle et on passe un moment ensemble. Je lui ai dit au revoir de la part de maraîchers qui n’avaient pu se déplacer. Elle a l’air paisible ; lorsque je lui parle, j’ai l’impression d’entendre sa voix. Je suis émerveillée, une fois de plus de la Création : il y a des millions d’individus, tous avec deux yeux, un nez, une bouche et deux oreilles et pourtant nous sommes tous différents et avec une voix particulière. J’aime la voix de madame Brodard. Au retour, je dis aux canaris que les plantes sont un cadeau de sa part et ils chantent !
Le service funéraire. Il y a plein de monde à l’église Saint-Norbert de La Coudre. Je ne l’avais jamais vue et la trouve jolie, accueillante. Parmi les personnes présentes, j’en reconnais certaines qui vont au marché. Je trouve touchant que des clients soient fidèles jusqu’au bout. En effet, ce n’est pas parce que la vie professionnelle s’est arrêtée que la vie, tout court, s’arrête aussi. Les enfants et petits-enfants de madame Brodard parlent de l’affection qu’ils avaient pour elle et racontent des anecdotes. L’une d’elles m’a frappée parce que j’en connaissais un bout : il y a deux ans, monsieur Brodard, remplaçant au marché Mme Brodard, me dit qu’il se réjouissait du repas de Noël parce que sa femme faisait une sauce aux morilles absolument délicieuse ; voilà que l’une de ses petites-filles raconte que dans la famille « on » avait voulu faire du nouveau à Noël et donc la sauce aux morilles avait disparu. Elle a rapporté que les petits-enfants avaient mis les pieds au mur et réclamé la sauce. La chose avait été rétablie ! L’assistance a eu le sourire aux lèvres
Le texte qui suit. Il a été lu par Alexandre, le sixième fils et c’est Marc, le cinquième, qui me l’a fait parvenir, je n’ai fait que la mise en pages (l’expression s’utilise au pluriel !) :
Note : Ce texte est touchant et je relève la transmission de valeurs. Notre siècle devrait être une évolution, mais justement, bien des valeurs se perdent… C’est beau de les transmettre.
Après la cérémonie, nous sommes allés au restaurant-auberge de la Tène, à Marin. Je me suis trouvée à table avec cinq convives. Comme il se doit, lorsqu’on est à une table avec plusieurs personnes, il se forme des groupes. C’est ainsi que j’ai pu parler longuement avec deux d’entre eux : David Maurer, un jeune entrepreneur. Son entreprise s’appelle Colorix SA. J’ai eu une conversation absolument passionnante. J’aime ceux qui aiment leur métier, qui cherchent et trouvent de nouvelles façons de faire, qui apportent quelque chose aux autres. Au fur et à mesure que je l’entendais, je me disais que j’allais écrire un article sur lui sur ma plateforme. Je pense qu’il faut mettre en exergue des gens comme lui. On va fixer une date ; l’autre personne est un journaliste, Gabriel de Weck. Mon Dieu ! un de Weck ! J’ai eu l’impression d’avoir toute la dynastie devant moi. Lui aussi est passionné par son métier et la courtoisie fait un avec lui ; cela me fait du bien de savoir cela. J’ai eu l’impression d’être au paradis avec des gens aimant la vie. Il travaille à la RTS et l’on doit se revoir parce que sa mère parle le russe et que le russe est la langue qui me fait fondre. Pour le retour, il m’a conseillé, puisque j’avais du temps, d’aller un bout le long du lac. Cela faisait un bail que je n’avais fait ce trajet. J’ai bien fait de suivre ce conseil avisé parce que j’ai trouvé sur le chemin de belles et longues branches pour la volière de mes canaris. Une fois de plus, je me suis dit que madame Brodard me (nous) faisait un cadeau !
Marc Brodard. Il est venu à notre table un moment et nous a raconté qu’à Noël, ses frères, ses soeurs et lui recevaient un pijama, des chaussettes et des mandarines ! C’est tellement joli. Il a aussi dit que pour la Saint-Nicolas, ses enfants recevaient également un pijama ! À la prochaine Saint-Nicolas, je vais penser à ces pijamas. Marc, je le connais depuis qu’il était étudiant et on avait discuté une fois ou l’autre des branches qu’il aimait le plus et de celles qu’il aimait le moins. J’ai été contente quand j’ai su qu’il était entré aux CFF. J’ai un attachement particulier pour ceux qui y travaillent et ai écrit un article sur ma plateforme lorsque l‘agence de voyages CFF de Neuchâtel a fermé. Je lui ai demandé le texte lu à l’église et me l’a fait parvenir en ajoutant : « J’ai parcouru votre site et ai eu le plaisir de voir vos oiseaux pour la première fois après les avoir imaginés pendant près de 20 ans ! »
Les remerciements. Je pense que remercier est un acte extrêmement important. C’est la reconnaissance pour un service rendu, même pour un service qu’on a payé ; même pour l’argent reçu en échange d’un service offert. J’ai eu la chance de remercier madame Brodard sur ma plateforme à deux reprises : l’une concerne la description de « Des oiseaux à la maison « , activité que j’exerce avec les enfants du Passeport vacances et l’autre dans l’article consacré au marché. Mais, comme on ne remercie jamais assez, je la remercie une nouvelle fois. Ce d’autant qu’elle continuera à me procurer des plantes pour mes canaris. Comment ? C’est un miracle « naturel ». Le miracle est par essence surnaturel, mais dans le cas présent c’est différent : les solidago que madame Brodard m’a vendues-données (pour un très bas prix) se sont plu chez moi et ont décidé de se planter dans les pots de mon balcon. Aussi, à chaque fois que je ramasse une branche, je pense à elle. Si feu mon ami , André Oppel, était encore de ce monde, il la remercierait pour ses confitures aux oranges amères. Il les aimait tant !
Les voies du destin. C’est quand même curieux ! Je révise le texte d’un médecin-écrivain français qui me fait l’amitié de m’envoyer un livre qu’il va republier sous le titre « La Malédiction des Orléans » où il revisite l’histoire de Jeanne d’Arc et voilà que cherchant les liens des articles liés à mes canaris sur ma plateforeme, je retrouve celui d’un poème écrit par Joseph Delteil. Je me dis que c’est le moment de mettre un mot sur cet écrivain et je vois qu’il a publié un livre sur… Jeanne d’Arc !

Un festival de plantes et de branches. Ces derniers jours ont été pleins de fleurs et de choses pour mes oiseaux. Je me dis que madame Brodard me fait signe, car comment expliquer que des jardiniers les aient coupées et laissées quelques jours sur place ?
La notion du temps : hors de notre dimension, le passé, le présent et le futur ne font qu’un ; raison our laquelle la diapositive faite il y a quelques années garde sa validité en cette année 2023.

Tous ces gens qui partent au ciel ! En un mois, j’en ai eu trois. C’est énorme. Je dois me dépêcher avec ma déclaration d’impôts et l’ordre dans différents domaines. Pourtant, j’ai souvent l’impression que la vie ne fait que commencer et me dis que je pourrais faire encore ceci ou cela…
Liens vers :
- Remerciements I. On ne sait pas toujours qui et combien on aide ;
- Les canaris du monde de Zully ;
- Passeport-Vacances : Des oiseaux à la maison ?
- Un poème dans la chambre des canaris ;
- Le marché de Neuchâtel. Le monde de Zully ne saurait exister sans les autres mondes ;
- J’ai écrit toute une série d’articles sur le commerce au centre-ville. Si cela intéresse quelqu’un, il pourra les trouver dans Questions sociales ;
- Histoire de départ au ciel 1 – Histoire 2 ;
- Histoire d’une bise et Jacques de Montmollin.
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